"Le Code civil claque au vent de l’histoire
comme il claque au vent du droit "
Guy CANIVET
Le Code civil, « le Code ancêtre, le Code par excellence, le Code », monument de l’histoire du droit privé en Europe, a fêté ses deux siècles d’existence en 2004.
Le Code civil incarne un socle fondateur de notre société d’aujourd’hui.
Lors de son bicentenaire, l’harmonisation des différents systèmes de droit civil des Etats membres de l’Union européenne a phagocyté les feux de l’actualité juridique.
Le projet du code civil européen appelle un certain nombre d’observations.
Conformément au Traité de Rome de 1957, il s’est certes avéré nécessaire de rassembler les différents marchés des Etats membres par la création d’un véritable marché commun, de s’assurer que les règles de concurrence s’appliquent sans discrimination à toutes les entreprises européennes, de rapprocher les politiques économiques nationales.
Sur ce fondement, l’Europe appelle indubitablement un socle juridique commun, nécessaire contribution à l’édification d’un espace économique européen.
En sus des considérations d’ordre économique, les partisans d’un code civil pour l’Europe soutiennent que l’avenir de l’Europe repose sur une voie unique en droit civil. Le Groupe d’études dirigé par le professeur allemand Christian Von Bar de l’Université d’Osnabrück a été reconnu par le Parlement européen comme étant chargée de faire avancer les travaux préparatoires vers un Code civil européen.
Cependant, le droit civil reste une émanation de l’histoire, de l’identité juridique, de la culture, de la mentalité de chaque Nation.
Le droit civil, reflet de l’identité juridique de chaque Nation
La territorialité de chaque Etat ne peut être dissociée des diverses formes que revêt l'expression de chaque démocratie en Europe. C’est sur le fondement d’un territoire que se sont historiquement construits les systèmes civilistes de chaque pays.
Cette notion de territorialité reste encore aujourd'hui pertinente, puisque les systèmes civilistes restent organisés au niveau de chaque Etat.
Conformément à l’article 6§3 du Traité de l’Union, l’Union européenne se doit de respecter les caractéristiques et l’identité nationale des Etats membres.
Aucun texte communautaire n’a conféré aux institutions européennes une compétence générale pour harmoniser les droits privés des Etats membres.
Force est de constater que légiférer en droit privé n’entre pas dans les compétences de l’Union européenne selon le Traité de l’Union.
Par ailleurs, un droit civil commun suppose une unité juridique, or l’Europe plurijuridique.
En effet, il existe deux grandes traditions juridiques en Europe, et ce bien distinctes : le système de tradition romano-germanique et le système de Common Law. Ces deux systèmes de pensée juridique en vigueur appliquent deux « modes de traitement des problèmes juridiques » différents.
Les pays de tradition romano-germanique pensent leur droit comme système fondé sur les textes et non essentiellement sur la jurisprudence. Le droit des pays de tradition romano-germanique est caractérisé par la rigueur, la précision, et la concision du raisonnement juridique par opposition au caractère confus, prolixe de
Un Code civil pour l’Europe tendrait à une suppression de ces caractéristiques qui constituent la quintessence même des deux systèmes juridiques.
Par ailleurs, force est de constater que les réformes qui se préparent, notamment en matière contractuelle, s’inspirent de
Au delà du clivage Common Law et pays de tradition romano-germanique, le droit civil reste très fortement imprégné des traditions des systèmes juridiques nationaux, parfois régionaux, mais aussi de la culture de chaque Nation.
Le droit civil, élément de culture de chaque Nation
L’Europe est pluriculturelle : chaque loi nationale suit une logique interne conforme à l’évolution des mentalités propre au pays. L’élargissement de l’Europe à
D’innombrables exemples peuvent étayer concrètement la multiplicité des formes juridiques nationales en Europe, de surcroît exprimée dans diverses langues :
En droit de la famille, le nom de famille diffère selon que l’on se trouve en Espagne ou en Scandinavie. La coutume espagnole consiste, pour les enfants, à prendre le premier nom de chacun de leurs parents, en plaçant celui de leur père en premier et celui de leur mère en dernier.
L’accouchement sous X existe en France, alors qu’en Belgique la règle « mater semper certa est » reste d’application stricte. Le mariage entre deux homosexuels est licite en Belgique, et pourtant une réforme de l’institution du mariage d’une telle ampleur n’est pas prête d’être envisagée dans d’autres pays européens tels que l’Irlande.
D’ores et déjà, il apparaît peu pertinent voire utopique d’envisager d’attribuer les mêmes définitions aux notions de droit privé dans toute l’Union à long terme.
Cela constituerait sans conteste une violation de l’identité non seulement juridique mais aussi culturelle de tous les citoyens européens.
Or la diversité culturelle a toujours constitué une richesse qui renforce la connaissance du droit. Tout un chacun se verrait contraint de se fondre dans un processus dénué de tout particularisme juridique.
De plus, un droit civil commun désorganiserait profondément les systèmes juridiques nationaux dans lesquels s’étaient cristallisés des formes de souveraineté nationale et populaire, et leurs modes d’expression.
Face à l’uniformisation en marche, on ne peut ignorer l’ampleur des bouleversements juridiques qu’engendrerait un Code civil européen.
C’est pourquoi, la résistance et la défense de nos codes civils s’imposent.
Réflexions conclusives
Nous condamnons vigoureusement les dangers de l’uniformisation du droit privé en Europe sur le modèle de
Néanmoins, le processus de codification du droit privé, quoique sectorielle, est en marche : un droit des contrats pour l’Europe est devenu aujourd’hui une réalité. C’est pourquoi, il incombe à tout un chacun de s’interroger sur la pertinence et l’opportunité d’un tel projet pour l’Europe mais surtout de faire preuve de vigilance.
Yola MINATCHY
Avocate au barreau de Bruxelles
(Extraits de Un Code civil pour l’Europe, entre harmonisations et exceptions
de l’auteur publié sur www.droitbelge.be et au Journal des Procès de Bruxelles)
1.Jean CARBONNIER, Le Code civil, les lieux de mémoire, Gallimard
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