L’ère de la défrancisation

Pour une francophonie défrancisée, ou des francisés ?

Le français comme signifiant peut se référer à la langue française, au peuple français, à la culture française, pour ne mentionner que quelques acceptions.

L’anglais pourrait signifier pour le britannique une langue et non pas nécessairement pas le Royaume-Uni ; pour l’américain, une langue, sans pour autant dénoter les États-Unis ; ainsi pour l’australien, l’indien, le pakistanais, pour ne citer que ceux-là.

Le français comporte une unité du signifiant pour désigner tant l’expérience culturelle (comprise ici dans un entendement large et commun) que son expression ; communément, la langue et sa culture. L’unité du signifiant a causé une unité de pensée unique en la matière. Ce qui rend parfois difficile la distinction entre langue et culture française.

A cette confusion s’ajoute une négation, une impression partagée hors de l’hexagone française. La culture française pourrait être négatrice de la culture de l'autre (les différents bouleversements médiatiques récents, bien que s’insérant dans des perspectives débattues à la française, sont appréciés différemment hors de l’Hexagone; de l’extérieur, on apprécie l’état d'un peuple, sa capacité de porter le flambeau de la civilisation, et pour cela, ce qu’il fait de la valeur de l'autre).

Il existe beaucoup de peuples qui ont, pour diverses raisons, le français comme langue, tous sans distinction, ayant sur un pied d’égalité la même prétention, riches ou pauvres. On a parlé du « français en partage ». Le français leur appartient comme il appartiendrait à la France.

De la confusion qui s’instaure par l’unité de signifiant, il existe une confusion du destin du français, comme lié à la France. Or ce ne peut être le cas.

L’incapacité politique française de voir les choses sur des horizons internationaux, et de comprendre les vrais enjeux, même l’intérêt de la France, est marquante. (La francophonie fera la France, et non l’inverse. Et celle-ci n’a pas trop de choix : aller vers l'autre, ou ne pas être).

Il existe en ce sens une franco-francophonie, qui a été peut-être également synonyme de francophonie. Or il devient impérieux de défranciser la francophonie. Ce n'est pas une option, ni pour la France, ni pour tous ceux qui ont le français comme langue, mais une nécessité, d'abord identificatoire, mais plus profondément, civilisationnelle, que demande le destin du monde. L’anglais se généralise, parce que l'autre devient le relais de la langue, l'autre est complément nécessaire de projet de civilisation, que ce soit à l’intérieur des pays représentant le noyau anglophone, qu’à l’extérieur de ces pays. Il n’existe pas d’assimilation dans l’anglophonie, entre culture et langue ; la langue hérite des cultures les plus opposées et diversifiés, mais ce vecteur commun de l’anglais reconnaît tous comme référence de soi, au niveau de la langue, sans pour autant être négateur, il appartient à l’autre au même titre qu’à un locuteur mythique.

Contrairement à une certaine pensée pessimiste, la francophonie est à faire et à définir. Elle est à naitre. Pour cela, il nous faut une francophonie défrancisée ; une francophonie de l'autre et non une francophonie des francisés. Une distinction magique qui va créer soudain un monde, un espace universel francophone, ayant la langue comme dénominateur commun soutenue par une richesse de cultures, et non pas de la sècheresse d'une culture unique, d'ailleurs considérée négatrice. Le destin aura alors des tours cachés. Faire de l’autre culturel un soi linguistique, serait une alliance de la plus haute civilisation de nos jours.

Riyad Dookhy, Barrister de Gray’s Inn, Londres

Président de la Société des Juristes francophones du Commonwealth

Le respect de la diversité culturelle

« Je ne veux pas que ma maison soit fermée
de tous les côtés et que les fenêtres
en soient obstruées. Je veux que les cultures
de tous les pays imprègnent ma maison
aussi librement que possible,
mais je refuse d’être emporté
par l’une ou l’autre d’entre elles. »

Mahatma Gandhi

Un des objectifs de JJF est de contribuer au respect de la diversité culturelle.

Notre action consiste notamment à promouvoir la pluralité des cultures présentes sur les cinq continents, malgré leurs différences.

Le respect de la diversité culturelle représente la condition fondamentale, nécessaire au dialogue des cultures, à la paix, au Vivre ensemble avec nos différences, c’est à dire indépendamment de nos particularités ethniques, raciales, religieuses, sociales. Ce respect de nos différences suppose notamment que les Etats garantissent à leurs composantes des moyens réels afin de cultiver et de transmettre leur différence identitaire.

Enjeu de justice sociale, la diversité culturelle ensemence la liberté de chacun, l’égalité de tous sur la base d’un engagement marqué des Etats, des institutions, des mouvements associatifs, de la société civile, de tout acte citoyen.

Plusieurs instruments normatifs reconnaissent la diversité culturelle comme un héritage commun de l’humanité à préserver. Ils considèrent sa sauvegarde comme un impératif éthique, inséparable de la dignité humaine.

L’essentiel des textes en cette matière a été élaboré par l’OIF, l’UNESCO, le Conseil de l’Union européenne, l’ONU. Ces institutions restent les plus grands défendeurs de la diversité culturelle sur la scène internationale.

Dans le même sens, JJF condamne tout processus d’uniformisation culturel dans un contexte de mondialisation.

Le 21 mai a été proclamé journée mondiale de la diversité culturelle pour le dialogue et le développement.

Yola MINATCHY

Avocate au barreau de Bruxelles

Francophonie par Abou DIOUF

La mondialisation du droit

A l’orbe de la planète, l’intensification des échanges, la vitesse de diffusion des idées ont amené les peuples à se fondre dans le phénomène de mondialisation.

La mondialisation incarne un de ces termes qui s’insinue subrepticement dans nos dictionnaires, notre vocabulaire sans qu’on prenne la mesure de son exacte portée. Au fil des années, il s’avère que plus que certains mots, la mondialisation véhicule des éléments structurants d’une construction idéologique[1].

Dans le domaine artistique, le stridentisme, né au Mexique dans les années 1920, a symbolisé une des premières formes d’une mondialisation de l’Art. En mettant en avant des valeurs universelles, le mouvement stridentiste s’élevait contre les valeurs identitaires mexicaines imaginant des projets aussi chimériques que celui de détruire la ville de Jalapa, à l’architecture coloniale remarquable. L’ultime dessein visait à transformer Jalapa en village futuriste sous le nom de Stridentopolas[2].

Dans son dernier panorama de l’économie mondiale, le Fonds Monétaire International (FMI) définit la mondialisation comme « l’interdépendance économique croissante de l’ensemble des pays du monde, provoquée par l’augmentation du volume et de la variété des transactions transfrontières de biens et de services, ainsi que des flux internationaux de capitaux, en même temps que par la diffusion accélérée et généralisée de la technologie »[3].

A l’aube d’une ère nouvelle, la mondialisation, expression de généralisation du système de production capitaliste à l’échelle planétaire, ne se réduit plus qu’à la dimension économique nécessitée par le mouvement des marchandises, de l’argent et des individus. La mondialisation influe aujourd’hui sur un tissu sociétal complet et tend idéalement vers une conception moniste du monde.

De même, la globalisation de la société humaine se révèle indissociable d’un processus de promotion de normes universelles. En effet, le droit n’est pas une sphère séparée du phénomène de mondialisation dans la mesure où il entretient avec la politique, la morale et l’économie des liens multiples[4]. La mondialisation juridique a pour vocation de contribuer au fonctionnement de la société internationale en lui apportant des règles de bonne gouvernance mondiale.

A la somme de textes communautaires et nationaux s’ajoute une prolifération importante de normes internationales. Une somme de règles juridiques que le président de la République Française, Jacques Chirac, a qualifié de « polyphonie juridique » lors d’un colloque à la Sorbonne[5]. Cette évolution du droit international s’explique sans doute par la mutation de la conscience juridique universelle. Certes, « la société internationale se juridicise et le droit international se juridictionnalise » ajoute Philippe Weckel[6]. en 2004

Corrélativement, en une décennie, nous avons pu observer une augmentation des mécanismes juridictionnels, quasi juridictionnels au niveau international. Aux nécessaires instances telles que la Cour internationale de justice, la Cour permanente d'arbitrage, la Cour pénale internationale, un organe spécialisé qui fêtera ses 10 ans le 1er janvier 2005[7] phagocyte les feux de l’actualité en droit du commerce international : il s’agit de l'Organe de Règlement des Différends (ci-après ORD) de l'Organisation Mondiale du Commerce (ci-après OMC).

L’OMC, cadre multilatéral relatif aux échanges de biens et de services, cristallise les débats divisant les tenants de la standardisation et les partisans de l’exception des normes juridiques, voire les mondialophobes et les mondialophiles.

Sans revendiquer le retour à un régime d’autarcie propre aux sociétés archaïques, ni renier un nécessaire mais modéré libéralisme économique, la mondialisation juridique appelle une vigilance citoyenne croissante.

La perspective unique d’un marché total doté d’un cortège d’effets sociaux néfastes vise à terme la déconstruction de notre identité juridique. D’ici à un Stridentopolas mondial, la frontière se rétrécit telle une peau de chagrin…

Pourtant, la multiplicité des formes juridiques mondiales constitue une richesse renforçant la connaissance du droit. Or, la mondialisation se construit au détriment de nos valeurs de base, et de nos particularismes juridiques, historiques, culturelles, idéologiques, sociologiques, linguistiques. Alors que notre patchwork culturel mondial, à l’image du découpage de notre planisphère, devrait être mis au service de tous pour un meilleur partage des idées, pour des influences croisées.

Citons ici un extrait de la déclaration universelle de l’UNESCO sur la diversité culturelle adoptée aux lendemains des attentats du 11 septembre 2001 [8] : « Notre planète regorge d’un nombre immense de peuples, de communautés, chacun avec sa langue, ses traditions, ses savoir-faires et ses identités spécifiques qui devraient enrichir nos vies, étant source d’une inépuisable créativité. Loin de nous séparer, la diversité culturelle est une force collective qui devra bénéficier à l’humanité entière ».

A l’aune du règne de l’efficacité économique, la mondialisation du droit est indubitablement en marche. Certes, elle ne se fait que progressivement. Gageons qu’elle ne sera jamais entière, en raison d’un lobbying constant, de forums sociaux: un nécessaire contrepoids en démocratie afin de fédérer des résistances à une institution parfois arbitraire. La mouvance qui tente de construire une planète où la mondialisation ne serait pas synonyme de libéralisation sauvage, et qui s’acharne pour une économie plus solidaire, sociale, plurielle mérite encouragement. Elle ne sera néanmoins pas suffisante sans la volonté de quelques politiques.

L’arbitrage de la Cour internationale de justice de la Haye apparaît sans doute comme la seule instance susceptible d’apprécier la compatibilité et la légitimité des normes internationales véhiculées par l’OMC depuis 10 ans. C’est en ce sens que nous estimons qu’elle pourrait être sollicitée afin de remettre en cause la primauté d’un droit du commerce international, qui se construit en faisant fi des conséquences désastreuses sur d’autres droits : les droits humains, sociaux, environnementaux, culturels…

Jusqu’où doit aller la mondialisation du droit ?

Afin de ne pas transmettre aux générations futures un patrimoine standardisé, déshumanisé, nous avons le devoir de récuser le processus de clonage juridique enclenché.

Yola MINATCHY

Avocate au barreau de Bruxelles

(Extrait de la Mondialisation juridique et l’OMC, publié au Journal des Procès de Bruxelles)



[1] Voir à ce propos, Bernard CASSEN, Le piège de la gouvernance, Le Monde diplomatique, Juin 2001.

[2] Mexique-Europe 1910-1960, Exposition du Musée d’Art Moderne de Lille, 2004.

[3] Martin WOLF, La mondialisation est-elle inévitable, Le Monde diplomatique, juin 1997.

[4] Mireille DELMAS-MARTY, Le relatif et l’universel, Seuil, 2004.

[5] Colloque Bicentenaire du Code civil, grand amphithéâtre de la Sorbonne, 11 mars 2004, Paris.

[6] Conférence de Philippe WECKEL du 24 juillet 2003, La mondialisation du droit, Cerimes, 2003. Philippe WECKEL est professeur de droit international à l'Université de Nice, auteur de nombreuses publications sur divers aspects du droit international, membre du comité de rédaction de la Revue générale de droit international public, il dirige la chronique de jurisprudence internationale de la revue.

[7] On peut également citer parmi les nouveaux organes le Tribunal du droit international de la mer, et les juridictions pénales internationales.

[8] Déclaration entérinée par la 31e session de la Conférence Générale de l’UNESCO le 2 novembre 2001.

Réflexions sur l’harmonisation des droits civils en Europe

"Le Code civil claque au vent de l’histoire

comme il claque au vent du droit "

Guy CANIVET

Le Code civil, « le Code ancêtre, le Code par excellence, le Code », monument de l’histoire du droit privé en Europe, a fêté ses deux siècles d’existence en 2004.

Le Code civil incarne un socle fondateur de notre société d’aujourd’hui.

Lors de son bicentenaire, l’harmonisation des différents systèmes de droit civil des Etats membres de l’Union européenne a phagocyté les feux de l’actualité juridique.

Le projet du code civil européen appelle un certain nombre d’observations.

Conformément au Traité de Rome de 1957, il s’est certes avéré nécessaire de rassembler les différents marchés des Etats membres par la création d’un véritable marché commun, de s’assurer que les règles de concurrence s’appliquent sans discrimination à toutes les entreprises européennes, de rapprocher les politiques économiques nationales.

Sur ce fondement, l’Europe appelle indubitablement un socle juridique commun, nécessaire contribution à l’édification d’un espace économique européen.

En sus des considérations d’ordre économique, les partisans d’un code civil pour l’Europe soutiennent que l’avenir de l’Europe repose sur une voie unique en droit civil. Le Groupe d’études dirigé par le professeur allemand Christian Von Bar de l’Université d’Osnabrück a été reconnu par le Parlement européen comme étant chargée de faire avancer les travaux préparatoires vers un Code civil européen.

Cependant, le droit civil reste une émanation de l’histoire, de l’identité juridique, de la culture, de la mentalité de chaque Nation.

Le droit civil, reflet de l’identité juridique de chaque Nation

La territorialité de chaque Etat ne peut être dissociée des diverses formes que revêt l'expression de chaque démocratie en Europe. C’est sur le fondement d’un territoire que se sont historiquement construits les systèmes civilistes de chaque pays.

Cette notion de territorialité reste encore aujourd'hui pertinente, puisque les systèmes civilistes restent organisés au niveau de chaque Etat.

Conformément à l’article 6§3 du Traité de l’Union, l’Union européenne se doit de respecter les caractéristiques et l’identité nationale des Etats membres.

Aucun texte communautaire n’a conféré aux institutions européennes une compétence générale pour harmoniser les droits privés des Etats membres.

Force est de constater que légiférer en droit privé n’entre pas dans les compétences de l’Union européenne selon le Traité de l’Union.

Par ailleurs, un droit civil commun suppose une unité juridique, or l’Europe plurijuridique.
En effet, il existe deux grandes traditions juridiques en Europe, et ce bien distinctes : le système de tradition romano-germanique et le système de Common Law. Ces deux systèmes de pensée juridique en vigueur appliquent deux « modes de traitement des problèmes juridiques » différents.

La Common Law, ensemble de lois qui s’applique dans la majorité des pays anglophones et, en conséquence en Angleterre et en Irlande, est fondée sur la jurisprudence. Son autorité ne réside pas dans un code mais dans l'ensemble des décisions rendues.

Les pays de tradition romano-germanique pensent leur droit comme système fondé sur les textes et non essentiellement sur la jurisprudence. Le droit des pays de tradition romano-germanique est caractérisé par la rigueur, la précision, et la concision du raisonnement juridique par opposition au caractère confus, prolixe de la Common Law.

Un Code civil pour l’Europe tendrait à une suppression de ces caractéristiques qui constituent la quintessence même des deux systèmes juridiques.

Par ailleurs, force est de constater que les réformes qui se préparent, notamment en matière contractuelle, s’inspirent de la Common Law, ce droit de plus en plus envahissant dans le monde des affaires, et non du code civil des pays de tradition romano-germanique. Ainsi, un risque non négligeable se profile à long terme de constater l’invasion de la Common Law dans notre droit privé.

Au delà du clivage Common Law et pays de tradition romano-germanique, le droit civil reste très fortement imprégné des traditions des systèmes juridiques nationaux, parfois régionaux, mais aussi de la culture de chaque Nation.

Le droit civil, élément de culture de chaque Nation

L’Europe est pluriculturelle : chaque loi nationale suit une logique interne conforme à l’évolution des mentalités propre au pays. L’élargissement de l’Europe à 27 a redessiné la carte et a accentué encore la diversité des cultures et des traditions au sein de l’Union européenne.

D’innombrables exemples peuvent étayer concrètement la multiplicité des formes juridiques nationales en Europe, de surcroît exprimée dans diverses langues :

En droit de la famille, le nom de famille diffère selon que l’on se trouve en Espagne ou en Scandinavie. La coutume espagnole consiste, pour les enfants, à prendre le premier nom de chacun de leurs parents, en plaçant celui de leur père en premier et celui de leur mère en dernier.

L’accouchement sous X existe en France, alors qu’en Belgique la règle « mater semper certa est » reste d’application stricte. Le mariage entre deux homosexuels est licite en Belgique, et pourtant une réforme de l’institution du mariage d’une telle ampleur n’est pas prête d’être envisagée dans d’autres pays européens tels que l’Irlande.

D’ores et déjà, il apparaît peu pertinent voire utopique d’envisager d’attribuer les mêmes définitions aux notions de droit privé dans toute l’Union à long terme.

Cela constituerait sans conteste une violation de l’identité non seulement juridique mais aussi culturelle de tous les citoyens européens.

Or la diversité culturelle a toujours constitué une richesse qui renforce la connaissance du droit. Tout un chacun se verrait contraint de se fondre dans un processus dénué de tout particularisme juridique.

De plus, un droit civil commun désorganiserait profondément les systèmes juridiques nationaux dans lesquels s’étaient cristallisés des formes de souveraineté nationale et populaire, et leurs modes d’expression.

Face à l’uniformisation en marche, on ne peut ignorer l’ampleur des bouleversements juridiques qu’engendrerait un Code civil européen.

C’est pourquoi, la résistance et la défense de nos codes civils s’imposent.

Réflexions conclusives

Nous condamnons vigoureusement les dangers de l’uniformisation du droit privé en Europe sur le modèle de la Common Law, même si le projet de codification du droit civil reste à ses premiers balbutiements et encore sujet de bien des contradictions. Certes, il s’avère que les travaux n’ont pour l’heure qu’un caractère fragmentaire et consultatif pour les institutions européennes.

Néanmoins, le processus de codification du droit privé, quoique sectorielle, est en marche : un droit des contrats pour l’Europe est devenu aujourd’hui une réalité. C’est pourquoi, il incombe à tout un chacun de s’interroger sur la pertinence et l’opportunité d’un tel projet pour l’Europe mais surtout de faire preuve de vigilance.

Yola MINATCHY

Avocate au barreau de Bruxelles

(Extraits de Un Code civil pour l’Europe, entre harmonisations et exceptions

de l’auteur publié sur www.droitbelge.be et au Journal des Procès de Bruxelles)

1.Jean CARBONNIER, Le Code civil, les lieux de mémoire, Gallimard

Ériger la Francophonie en une communauté de valeurs

La francophonie est une communauté linguistique. Elle doit dépasser cette phase et devenir une communauté de valeurs. En demeurant une communauté linguistique, elle ne sera qu’un moyen de retarder le déclin de l’usage du français.

Il me paraît, au-delà de la coopération qui doit exister entre les Etats, et dans le domaine juridique, entre les juridictions francophones et l'organisation des colloques, que la Francophonie doit instituer une juridiction internationale qui aurait pour mission de promouvoir une sorte de droit commun moderne portant sur de nouvelles valeurs fondamentales. Il n’existe actuellement aucun mécanisme ou instrument de promotion d’un droit francophone.

Il y a lieu d’élaborer une charte énonçant des principes essentiels et d’avenir portant sur de nouvelles valeurs victorieuses, tels les droits linguistiques, la bioéthique, l’écologie, le commerce équitable, l’humanisme etc. La déclaration de Bamako et l'acte final du symposium Bamako +5 ne répondent pas à ces exigences. Ces deux textes ne portent que sur les droits de la première génération et ne sont pas coercitifs.

Une juridiction internationale (ou même transnationale) aurait pour mission de faire respecter par les États les droits proclamés. La francophonie doit avoir un système normatif distinct. Cela engagera les Etats membres de l'Organisaion internationale de la francophonie à intégrer davantage du droit francophone dans leur ordonnancement juridique.

Parvèz DOOKHY

Faire circuler la jurisprudence francophone


Dans les pays de droit francophone, la jurisprudence occupe une place secondaire dans l’élaboration et le développement du droit. C’est la loi qui a le dessus. Souvent la loi est codifiée (ce qui traduit l’idée de tout régler par le pouvoir politique).

Le juge, depuis l’époque napoléonienne, n’est que l’exécutant ou l’appliquant du pouvoir politique. Le code civil interdit les « arrêts de règlement ». La jurisprudence n’est que l’application de la loi. Le juge n’est qu’une autorité et pas un pouvoir.

Elle est souvent elliptique, motivée au minimum. Dans ces conditions, elle est peu compréhensible en soi, voire illisible.

A l’époque napoléonienne, la loi était imposée par la force dans des pays. Cette époque est bien révolue.

La jurisprudence des pays francophones ne peut pas voyager d’un pays à l’autre comme cela se fait dans les pays de Common Law. Un juge d’un pays francophone ne peut pas s’inspirer de la décision rendue par son collègue à l’étranger. Les différentes associations regroupant les juridictions francophones (type cours constitutionnelles, juridictions de cassation etc.) ne permet pas en tant que telle l’échange jurisprudentielle nécessaire à la promotion d’un droit commun.

Or, dans bien des domaines, le droit doit se former à partir des réalités concrètes. La loi ne peut poser qu’un cadre général.

La jurisprudence doit être mieux élaborée, argumentée par le juge. Le juge doit avoir pour démarche de s’inspirer de ce qu’ont décidé ses collègues francophones. De cette manière, le droit francophone gagnerait en puissance, et pourrait devenir commun à l’ensemble des pays de la zone francophone.
Avocat

"Jeunes Juristes Francophones"


« La francophonie, cet humanisme intégral

qui se tisse autour de la terre »,

Léopold Sédar Senghor, revue Esprit, 1962



Le terme francophonie est né de la plume d’un géographe français, Onésime Reclus (1837-1916). Ce vocable ne désignait alors que l’ensemble de la population s’exprimant en langue française.

Aujourd’hui, la francophonie a évolué, et a perdu sa connotation coloniale d’antan : la francophonie plaide désormais pour que la communauté francophone se structure et s’organise afin de défendre les valeurs culturelles, humanistes, linguistiques, juridiques dans le processus d’édification du système international.

La francophonie permet d’assumer les histoires et les identités, mais aussi de servir le dialogue, la paix, la construction juridique dans un contexte de la mondialisation.

Ce combat est certes mené sous l’égide de la langue française, parlé par 200 millions de personnes dans le monde, mais dans un esprit de partage, d’ouverture, de réflexion commune.

Jeunes Juristes Francophones (ci-après JJF) est une association à dimension internationale, de type loi française de 1901, crée en 2002.

L’objectif de JJF est de participer à la promotion du droit d’expression française dans un contexte de mondialisation.

JJF regroupe de jeunes professionnels et théoriciens du droit de divers pays des cinq continents où a rayonné le droit d’inspiration française.

JJF consacre ses travaux à la recherche, à la diffusion des idées, à l'échange, à la réflexion, à l'organisation de congrès sur la francophonie juridique.


Actions


JJF œuvre pour ériger la francophonie en une communauté de valeurs. Afin que la francophonie juridique puisse défendre ses valeurs, s’exporter, une coopération puissante et dynamique, un partage entre les juristes francophones de divers pays s’avère fondamentale.

JJF axe ses principales actions sur le respect de la diversité culturelle, la paix, la démocratie, les droits de l’homme, l’éducation, et au sens large le développement durable.

JJF propose la défense de valeurs juridiques d’inspiration française. Tâche d’autant plus délicate que le droit français rencontre une certaine difficulté à circuler et à être accueilli dans les pays étrangers. On assiste à une entrée en concurrence sévère de la Common Law, droit d’inspiration américaine et anglaise, notamment en droit des affaires, et droits nouveaux dans l’espace juridique francophone.

Dans un contexte de mondialisation, la synergie s’avère indispensable entre les différents systèmes juridiques d’inspiration française afin de pouvoir continuer à présenter une autre vision du monde, différente de celle proposée, voire imposée notamment aux pays en développement par le système concurrent, la Common Law.

Si la mondialisation rapproche les peuples, elle met aussi en péril la diversité culturelle et linguistique française dans la mesure où elle tend à uniformiser les modes de vie et d’expression, ainsi que les systèmes juridiques.

Cependant, le droit reste l’émanation de l’histoire, de l’identité juridique, de la culture, de la mentalité de chaque nation.

La territorialité de chaque Etat ne peut être dissociée des diverses formes que revêt l’expression de chaque démocratie.

C’est sur le fondement d’un territoire que se sont historiquement construits les systèmes juridiques de chaque pays.

Imposer la Common Law dans la totalité monde constitue sans conteste une violation de l’identité non seulement juridique mais aussi culturelle de chaque nation. Tout un chacun se verrait contraint de se fondre dans un processus de clonage juridique dénué de tout particularisme.

JJF condamne tout processus d’uniformisation juridique dans le système d’édification européen et international.

La diversité culturelle, patrimoine commun de l’humanité, a toujours constitué une richesse qui renforce la connaissance du droit.

La Présidente,

Yola MINATCHY