Journée mondiale du bandeau blanc pour la lutte contre l’extrême pauvreté

Photo AMCP
« Considérer les progrès
de la société
à l’aune
de la qualité de vie
du plus démuni

et du plus exclu
est la dignité d’une nation

fondée sur les droits de l’homme. »


Afin de soutenir l’action mondiale contre l’extrême pauvreté et la faim, les Jeunes Juristes Francophones vous invitent à porter en ce 1er juillet un bandeau blanc.

Les membres des Nations Unies ont déclaré et signé en septembre 2000 à New York, 8 grands « Objectifs du Millénaire pour le Développement », parmi lesquels figure la réduction de moitié de la pauvreté dans le monde pour 2015 (1)

Rappelons qu’en 2010, 24.000 personnes meurent de faim chaque jour, soit un mort toutes les quatre secondes ; et que 1,4 milliard d’êtres humains vivent encore avec un dollar par jour.

Relevons que, en matière d’armement, le budget mondial des 192 États membres de l’ONU s’élève par an à 1464 milliards de dollars, et que le budget nécessaire afin d’éradiquer la faim et la pauvreté extrême dans le monde s’élève à 32 milliards de dollars par an (2). Vaincre la faim dans le monde serait possible dans un contexte où le désarmement ferait réellement partie intégrante des engagements des États membres des Nations Unies vers la consolidation du processus de paix.

Face à une politique internationale de développement pratiquant un double langage d’une incohérence flagrante, dans une ère où l’évolution technologique prime, dépasse celui de la conscience collective de l’Humanité, les Jeunes Juristes Francophones s’insurgent.

Nous nous associons, en ce 1er juillet, à la coalition mondiale (3) afin d’exhorter les États signataires à respecter leur engagement, à adopter des mesures concrètes d’ici 2015, à redéfinir une place pour les droits de l’Homme dans la hiérarchie des valeurs collectives, et vis à vis du droit international positif.

Yola MINATCHY




(1) Voir 8, film français de fiction traitant des Objectifs du Millénaire pour le Développement : http://www.ldmproductions.fr/8/

(2) Chiffres du Stockholm International Peace Research Institute.

(3) La coalition « 2005 :Plus d’excuses », diverses organisations, institutions, associations, bénévoles.

L’Isle de France, Maurice et la Francophonie




Abandonnée par les Hollandais, notre île est administrée et acquiert une véritable reconnaissance internationale lorsqu’elle est devenue officiellement l’Isle de France, sous administration française. L’administration française a duré presque un siècle (de 1715 à 1810) mais son influence a perduré jusqu’à nos jours. Il est bien connu que Bertrand-François Mahé de Labourdonnais a fait prospérer l'Isle de France très rapidement avec la fondation de plusieurs villes dont Port-Louis, la construction d’édifices administratifs (l’Hôtel du Gouvernement notamment), de magasins, d’entrepôts et de casernes militaires et Pierre Poivre a donné à l’île une structure environnementale et un nouvel aménagement.

Après l’acte de capitulation de 1810 par les Français, l’île est passée sous l’administration britannique mais celle-ci, conformément à leur pratique d’alors, avait indiqué que les habitants de l’île, devenue Maurice, pouvaient conserver leur « religion, lois et coutumes ». Les Britanniques ont consenti à ce que les habitants de l'île Maurice et de l'île Rodrigues continuent d’utiliser leur langue, leur religion, leur Code civil, leurs traditions et leurs douanes. Peu nombreux et n’ayant pas l’intention de peupler l’archipel, les Anglais avaient fait des concessions. Si toutefois les hauts fonctionnaires français ont été remplacés, la grande majorité des Franco-Mauriciens blancs, avaient décidé d’y rester et poursuivre l’exploitation des terres et commerces. Appuyés par le clergé catholique, ils ont opposé une résistance opiniâtre aux velléités gouvernementales de mainmise linguistique.

Le Français a été maintenu jusqu’en 1832 où le gouvernement colonial anglais a imposé une première politique linguistique : la langue anglaise est devenue obligatoire pour les Mauriciens lors de toute communication avec les autorités britanniques. L’année suivante, l’anglais a été érigé en l’unique langue de l’Administration en servant de critère d’embauche dans les services gouvernementaux.

Malgré cette politique d’introduction le l’anglais comme langue officielle, le français s’est maintenu fièrement comme la langue de la société civile cultivée. La presse écrite francophone a maintenu son essor et s’est développé. Des liens avec la France ont repris progressivement et en particulier après la seconde guerre mondiale.

Lors de l’accession de Maurice à l’indépendance en 1968, les autorités britanniques n’ont pu que prendre acte de cette réalité en énonçant que, même si l’anglais est la langue officielle du pays, le français est une langue de travail à l’Assemblée Législative. Les parlementaires peuvent communiquer en Français, ce qui est toujours le cas. Les Gouvernements mauriciens de l’après Indépendance ont réintroduit la réforme des lois d’origine française, dont le Code civil, en Français.

Maurice est membre de la Francophonie depuis le premier Sommet constitutif de 1986 à Versailles. La langue française s’est développée d’une manière très singulière à Maurice. Enseignée dès la maternelle ou les primaires, elle est la langue dominante au sein des médias. La grande majorité des journaux écrits sont publiés en Français. Le journal principal de la télévision nationale se fait encore en Français malgré l’introduction de plus en plus importante du créole lors des reportages. Les radios libres ont consolidé la place du français dans la diffusion de l’information et des émissions. Les chaînes de télévision étrangères reçues à Maurice sont majoritairement en français. Un certain nombre de lycées français ont vu le jour et des certains instituts d’enseignement supérieur offrent des cours en français.

Néanmoins, l’on ne peut que constater que le Français mauricien, tel qu’il s’est maintenu et développé, est resté seulement comme une langue populaire, parlée par la société civile. Il n’a pas pu acquérir de nouveau un statut, même partielle, de langue administrative ou technique. L’Administration mauricienne ne communique officiellement qu’en anglais à quelques exceptions près. Parallèlement, la langue créole, qui était un prolongement du français, évolue vers une autonomie en ayant une graphie phonétique propre et en intégrant de plus en plus de termes anglais. A titre indicatif, l’on ne dit pas en créole ordinateur portable mais bien « laptop » ou encore l’on ne dit pas « micro-ondes » mais « microwaves » etc. La liste peut être longue pour tous les nouveaux objets.

Si le Français a beaucoup progressé dans les médias, il a régressé en tant que langue de l’Etat dans les rares domaines où il était réservé. Très peu de députés s’adressent au Perchoir (Chair of the Speaker) en Français encore. L’ensemble des interventions parlementaires se font en anglais. Dans ce même prolongement, l’idée de traduire le Code civil, texte historique faisant partie de notre patrimoine, en anglais est l’illustration de ce recul du français comme langue même partiellement officielle de notre pays.

Il y a lieu de se ressaisir. Le Français est une langue internationale, officielle de l’ONU et de l’Union Européenne. Nous sommes membres de la Francophonie. Dans notre région, l’Océan-Indien et en Afrique, le Français est très répandu. Nous avons des rapports historiques et culturels forts et une très grande coopération avec la France. Il est dès lors nécessaire d’avoir une véritable politique francophone à Maurice d’autant que le Français est nettement plus accessible aux mauriciens que l’anglais. Notre bilinguisme a fait notre force et la fierté de beaucoup de mauriciens. Nous devons la consolider et lui accorder un nouvel élan.

Dr Ismael DILMAHOMED

Ancien Ambassadeur de Maurice en France

Semaine d’actions contre le racisme


« C’est un fait :
des Blancs s’estiment supérieurs aux Noirs.
C’est encore un fait : des Noirs veulent démontrer aux Blancs
coûte que coûte, la richesse de leur pensée,
l’égale puissance de leur esprit.
Comment s’en sortir ? »

Frantz FANON



En dépit du large éventail d’instruments juridiques réprimant le racisme, les discriminations raciales perdurent dans la complexité de nos sociétés.

A l’occasion de la journée mondiale contre ce fléau sociétal, les mouvements et acteurs de la contestation se réunissent du 18 au 26 mars 2010 au cœur d’une Belgique plurielle, cosmopolite.

Nous nous associons à cette semaine d’actions; nous défendons « la pensée de la multitude » pour « faire ensemble » contre le racisme; et nous proposons une diversité d’approches, d’interrogations, de réflexions afin d’en découdre avec le mille-feuille ségrégatif de l’idéologie raciale.

Peut-on lutter au XXIème siècle contre les stéréotypes attribués aux groupes ethniques depuis l’époque coloniale ? Les inégalités de race se sont-elles substituées aux inégalités de classe ? Comment articuler, compléter plutôt que d’opposer les identités disparates dans un espace public post-racial ? Peut-on changer notre société, la protéger des dérives les plus extrêmes en la matière ? A quand la consécration constitutionnelle dans nombre d’Etats de l’égalité des races ?

Si la démocratie se nourrit du progrès de la connaissance sociale, elle s’enrichit notamment de la capacité de chacun à remettre en cause ses propres préjugés et manquements en la matière, au-delà des communautés épistémiques.

Plaçant l’humain au cœur de nos préoccupations juridiques, nous esquissons des alternatives compatibles avec les perspectives du devenir de l’humanité.

A Bruxelles, le phalanstère du Mouvement contre le Racisme, l’Antisémitisme et la Xénophobie (ci-après « MRAX ») organise, autour de la Journée mondiale de lutte contre le racisme, une série d’actions antiracistes dans le cadre de la 5 ème édition de son festival décentralisé.

Le programme de cette Semaine d’actions contre le racisme sera axée cette année sur les activités de trois groupes de travail:

- Le groupe « islamophobie », lequel se réunira le 18 mars et mènera une réflexion sur la thématique de « l’islamophobie, racisme universel ?».

- Le groupe « Gens du voyage », qui remettra un cahier de revendications lors d’une conférence, le 22 mars, intitulée « Les gens du voyage, oubliés d’hier et d’aujourd’hui ».

- Le groupe « discriminations à l’égard des noirs », qui vous proposera des activités diverses (le 20, le 21, le 23, le 25, le 26 et le 28 mars), dont l’action symbolique « débaptisation de la rue des colonies à Bruxelles » le 20 mars.

La soirée de clôture intitulée « la lumière sur le racisme anti-noir » de la semaine d’actions aura lieu le 26 mars au théâtre Molière à la galerie de la porte de Namur à Bruxelles.

Au programme de cette soirée, spectacle, court métrage, musique avec en filigrane la richesse de toutes les ressources des sciences de l’Homme.

L’imaginaire social retissé dans ces créations artistiques concourt à la résistance contre les discriminations raciales ancrées dans tous les secteurs de la vie économique et sociale. Signe que les actions de mobilisation contre le racisme ne reflètent pas toujours une lutte uni-sectorielle et perturbatrice. Elles peuvent aussi se réaliser dans le respect des règles les plus élémentaires de civisme, contrepoids nécessaire face à la trame de l’intolérance, des discriminations, de l’exclusion ou de la violence.

Nous encourageons vivement toute victime de racisme à faire preuve d’irénisme, et particulièrement dans les sociétés post-coloniales, les départements d’Outremer, et à persévérer vers la création d’un nouvel ordre social, d’un meilleur «Vivre ensemble».

En cette journée mondiale, en mémoire des victimes des crimes raciaux, des génocides, des discriminations raciales de notre histoire, cristallisons ensemble dans cette temporalité toutes les pensées individuelles novatrices.

Pour que les idées, et non la violence, mènent l’humanité future.

La Présidente,
Bruxelles, 21 mars 2010*



*La date du 21 mars a été choisie par l’Organisation des Nations unies afin de commémorer ce jour de 1960 où, à Sharpeville en Afrique du Sud, la police a ouvert le feu et tué 69 personnes lors d’une manifestation pacifique contre l’apartheid.

Plus d’infos sur le programme de la semaine à Bruxelles:
http://www.mrax.be


Préparer la Francophonie de demain*

par Abdou Diouf, Secrétaire général de la Francophonie

La Francophonie a quarante ans, l’âge où l’on devient ce que l’on est profondément.

Quarante ans durant lesquels nous avons œuvré, avec confiance et constance, pour donner corps et substance aux ambitions et aux promesses éclairées de ceux qui signèrent, le 20 mars 1970, la Convention de Niamey.

Quarante ans durant lesquels nous avons repoussé les frontières de notre espace, élargi notre horizon, gagnant toujours plus de peuples et de nations à notre cause, jusqu’à exprimer la diversité constitutive et créative du monde.

Quarante ans durant lesquels nous nous sommes attachés à épouser et à anticiper les mutations d’un monde soumis à l’effacement de l’espace et à l’accélération du temps, d’un monde en proie à des défis d’une ampleur inédite et à des inégalités aussi révoltantes que croissantes.

Si la Francophonie a pu résister à l’épreuve du temps, si elle a su se régénérer et se réformer tout en restant elle-même, c’est grâce à l’engagement militant de toutes celles et de tous ceux qui l’ont fidèlement servie et promue, tout au long de ces quarante ans, mais c’est aussi grâce à la langue et aux valeurs qui nous fédèrent.

Car c’est bien la langue française qui confère à notre famille ce supplément d’âme, cette spontanéité dans la solidarité, cette intercompréhension dans le dialogue, cette conscience aiguë de notre ressemblance dans la différence et de notre communauté de destin, par-delà nos disparités et nos divergences.

C’est bien notre foi partagée en ces valeurs universelles et pérennes que sont la démocratie, les droits de l’homme, la paix, l’équité et la durabilité du développement, mais aussi notre foi irréductible en l’homme, tout l’homme, qui nous conduisent à vouloir obstinément que la liberté, l’égalité, le progrès, la prospérité ne soient plus le privilège de quelques
uns, mais un droit pour tous.

Alors nous avons toutes les raisons, quarante ans après, de célébrer avec fierté et allégresse la Francophonie d’aujourd’hui.

Mais nous avons, également, le devoir d’être aussi inspirés, ambitieux et exigeants qu’au premier jour afin de préparer la Francophonie de demain, celle-là même dont doivent s’emparer, dès maintenant, les jeunes générations avec notre
concours volontariste.

Que cette journée du 20 mars 2010 soit donc, sur tous les continents, la grande fête de la mémoire et de l’espoir.


*source : Organisation Internationale de la Francophonie

Orienter la réforme pénale

Les pénalistes ont toujours appelé de leur vœu une réforme de la procédure pénale, mais force est de constater qu’ils n’ont pas su démontrer leur capacité à adopter une position commune sur le projet de réforme initié par le gouvernement. Le projet est insuffisant sur bien des points et nécessite un profond remaniement. Certes, il comporte, du moins en apparence, des avancées significatives, notamment en ce qui concerne l’intervention et le rôle de l’avocat en garde à vue, l’affermissement du principe du contradictoire au cours de la phase de jugement ou bien encore la suppression du juge d’instruction. Toutefois, il n’en demeure pas moins que la procédure pénale française même observée sous le prisme de la réforme, reste loin des exigences posées par les organes de justice européens et plus généralement des normes européennnes des grands pays tiers.

Une réflexion différente doit s’engager sur la refonte du processus judiciaire. Il est impératif que ce nouveau chantier législatif comprenne, dans une perspective d’harmonisation européenne, un certain nombre d’axes essentiels de réforme en vue d’atteindre un standard acceptable pour une administration de la justice rénovée. A ce titre, le régime de la garde à vue doit changer fondamentalement. Il apparaît tout aussi nécessaire que les audiences et auditions soient retranscrites intégralement. Nous appelons à la création d’un corpus du droit de la preuve en matière pénale. Enfin, le parquet doit retrouver sur la scène judiciaire la place qui est la sienne eu égard à sa fonction d’accusateur et à sa culture statutaire de hiérarchisation vis-à-vis du pouvoir executif.

La garde à vue telle qu’elle est pratiquée en France, reste une pratique bien moyenâgeuse. Déjà dans une circulaire du 11 mars 2003 Nicolas Sarkozy lui-même écrivait : « Trop souvent encore, les conditions matérielles dans lesquelles les personnes gardées à vue sont retenues ne sont pas dignes d’une démocratie moderne ». L’accroissement des pouvoirs conférés à l’avocat n’entraîne aucun effet mécanique sur l’humanisation des conditions de la détention. Le Code de procédure pénale et les circulaires d’application ont su faire preuve d’un grand mutisme sur les conditions matérielles de vie en garde à vue. Cependant il convient de dresser l’état des lieux du délabrement des cellules de garde à vue mal entretenues envahies d’odeurs nauséabondes parce que non ventilées auxquelles s’ajoute l’absence de chauffage. Le gardé à vue est par conséquent amené à passer la nuit dans de telles conditions, sans couvertures ou s’il en dispose elles ont été trop utilisées pour remplir les conditions d’hygiène élémentaire. Il doit se résoudre à dormir à même le sol ou sur un banc alors que la température extérieure peut être inférieure à zéro. Il doit apprendre à négocier avec le policier l’accès aux toilettes, le droit à une cigarette s’il est fumeur. Pire encore, rien n’est prévu dans le Code sur la possibilité pour le gardé à vue, dont la durée peut atteindre comme chacun sait 96 heures dans certains cas, sur la possibilité de se laver. Tout ce régime s’apparente à une forme subtile de torture ou de pression qui n’a pour objectif que de faire céder le gardé à vue afin qu’il passe aux aveux. Ce même constat vaut pour les dépôts (ou souricières), zone d’attente où sont stationnés les mis en cause après une garde à vue avant leur audition par un magistrat. Il est de ce fait plus qu’urgent de changer drastiquement les conditions matérielles de privation de liberté du gardé à vue d’autant que cette période est reconnue de l’avis des gardés à vue comme étant une des plus difficiles dans la phase de privation de liberté.

L’actuelle réforme ne peut prétendre progresser vers un droit moderne digne des standards européens sans avoir prévu la mise en œuvre d’un ensemble de mesures visant à améliorer ostensiblement les conditions matérielles de vie du gardé à vue.

Par ailleurs, la procédure pénale française comporte une autre lacune fondamentale et peu connue de certains pénalistes : l’absence d’établissement des déclarations verbatim du mis en cause. A tous les stades de la procédure, les déclarations du mis en cause sont retranscrites (c’est-à-dire reformulées) soit par le policier rédacteur du procès-verbal soit sous la dictée du magistrat instructeur par le greffier. A la phase de jugement, le greffier n’établit que des notes d’audiences, en réalité un résumé rapide de la position des uns et des autres. Or, pour l’équité et la loyauté d’un procès, toute déclaration doit être verbalisée intégralement. Selon la pratique actuelle, le policier ou le juge d’instruction entame préalablement une discussion avec le mis en cause et ensuite décide de la rédaction du procès verbal. Ils reformulent, à supposer objectivement, du moins librement les déclarations de l’intéressé dont certaines subtilités ou nuances ont pu être évacué de l’écrit. Cette méthode est bien contestable. Ainsi les questions pièges du policier ne sont pas notées. Le policier peut aisément, lorsqu’il procède à la notification des droits, dissuader oralement le gardé à vue de demander l’intervention d’un avocat faisant ainsi valoir la simplicité et la rapidité de la procédure. Au cours de la phase du jugement, il est tout aussi important qu’une transcription intégrale des déclarations de tous les acteurs du procès soit établie. Les simples notes d’audience ne permettent pas véritablement au juge d’appel ou de cassation d’exercer son contrôle. Nous avons tous en mémoire le dérapage verbal du juge dans l’affaire Omar Raddad mais ceci n’a pas été verbalisé. A titre de comparaison, en Angleterre et dans les pays de Common Law, les déclarations sont établies par un sténographe officiel pour être retranscrites intégralement et exactement (comme cela se fait au sein des assemblées parlementaires) dans un document intitulé « trial transcript ». Lorsqu’une transcription intégrale existe, tout dérapage verbal d’un juge ou des parties laisse des traces et peut être sanctionné. Une procédure pénale moderne et de qualité doit être aussi traçable que possible car il y va du respect de la liberté individuelle. Les procédés techniques actuels permettent aisément l’enregistrement de toute forme de procédure.

Ce besoin de qualité comporte une autre exigence. Un système pénal progressiste ne peut faire l’économie d’un véritable droit de la preuve encadrant la fonction de juger, sauf à se renier. Le droit français a toujours laissé la voie à la discrétion, voir à l’arbitraire, dans le cheminement d’une décision de culpabilité. Le Code de procédure pénale prévoit que « les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve, le juge décide d’après son intime conviction ». Or, l’intime conviction est tout le contraire d’un raisonnement légal construit tendant vers la déclaration de culpabilité. Elle ressemble plus au mode de croyance du profane que celui que doit avoir un juriste. Comment peut-on demander à des juges professionnels de juger à la manière de l’homme de la rue ? L’intime conviction fait place à des décisions purement subjectives et non objectives. Elle n’est pas réellement conciliable avec le principe selon lequel le doute profite à l’accusé, doute qui se trouve de la sorte amputé de toute sa substance.

A l’inverse, dans le système accusatoire de Common Law, le juge est guidé voir même encadré par un droit de la preuve. Le mode de preuve n’est pas libre mais bien légal. Certains mode de preuve sont bannis, en particulier le ouï-dire (hearsay evidence). Le ouï-dire est essentiellement des déclarations faites par un éventuel témoin en dehors du cadre judiciaire et qui est rapporté par un autre. De même, les conséquences qu’un juge peut tirer des éléments de preuves indirects (circumstantial evidence) sont bien encadrées. Aussi, les questions tendancieuses (leading questions), c’est-à-dire des questions comportant déjà un élément de réponse, sont interdites lors d’un interrogatoire. Le juge est amené à faire une construction légale de la culpabilité. Il doit établir la culpabilité au-delà de tout doute raisonnable (beyond reasonable doubt). Plus objectif, la décision de justice est moins variable d’un juge à l’autre, phénomène récurrent en France.

Enfin, le rôle et la place du parquet doivent être rationalisés. Dans le système actuel que l’on peut qualifier de confus et paradoxal, le parquet bénéficie du statut de magistrat, terme finalement ambigu pour celui qui représente tant la société que l’accusation. Le parquet, dans le procès pénal, doit voir son rôle réduit à celui d’accusation. Il doit se situer au même niveau que les autres intervenants au procès, les conseils des parties. Il ne doit plus faire partie intégrante de la composition du tribunal comme c’est le cas actuellement et entrer et sortir avec le tribunal. Comme le juge européen l’a souvent rappelé, il ne suffit pas que justice soit rendue, mais encore faut-il qu’elle soit apparente (Justice must not only be done, but must also be seen to be done), en reprenant un principe fondamental du droit anglais. Présentement, le justiciable peut avoir le sentiment d’une grande collusion entre le parquet et les juges. Dans ce même ordre de réflexion, il y a lieu de séparer définitivement et effectivement le corps des juges (du siège) de ceux du parquet pour une raison non pas seulement d’indépendance mais essentiellement d’impartialité. Un parquetier reste marqué psychologiquement et culturellement par une attitude accusatoire et ne peut assumer les fonctions d’un juge impartial.

Dans l’esprit de la réflexion qui précède, la problématique de suppression ou non du juge d’instruction se trouve transcendée. Son maintien ou non ne changera en rien la manière de rendre justice tant que les changements fondamentaux évoqués n’auront été appréciés. L’affaire Outreau a pu connaître les dérives que l’on sait malgré le nombre et la qualité des intervenants ayant agi parce que tous ont opéré dans le cadre d’un système que l’actuelle réforme ne propose pas de modifier. Le juge d’instruction seul n’est pas responsable de cette affaire. Conférer les pouvoirs du juge d’instruction au parquet sous le contrôle in fine d’un juge-arbitre n’aura pas d’influence sur la qualité de notre justice pénale. Le juge d’instruction peut être maintenu, mais il doit être davantage encadré dans l’exercice de ses fonctions. L’on peut imaginer un système dans lequel le juge d’instruction est chargé uniquement de l’enquête dans les affaires complexes et graves et qu’au terme de son instruction, le parquet entame une phase accusatoire et totalement contradictoire devant un juge-arbitre, le tout dans les termes rappelés. Une telle conciliation serait sage et donnerait à la procédure pénale française un nouveau souffle…

Jean-Marc MARINELLI, Avocat à la Cour

Parvèz DOOKHY, Docteur en Droit en Sorbonne