Les jours fériés chrétiens ou le
paradoxe français de la laïcité
Madame
la députée Ericka Bareigts a présenté un amendement visant à restaurer
l'égalité entre les différents cultes présents dans les Outre-mer, à travers
une nouvelle répartition des jours fériés. De manière tout à fait apolitique, et au delà
des considérations diverses qui ont pu considérer le texte comme un épiphénomène communautariste,
électoraliste, réducteur, soulignons qu'un tel amendement relève du bon sens et
du respect de la laïcité dans les Outre-mer.
Que
nous soyons portés par des courants de droite ou de gauche, la France est un
Etat laïc et garantit la liberté de culte à tous. Etat laïc signifie aussi que
la France n'est pas censée accorder plus de privilèges à une religion qu'à une
autre sur son territoire. Ce précepte laïc est un pilier du système politique,
juridique, social français. Les jours
fériés correspondant à des fêtes religieuses chrétiennes sont donc des résurgences
de privilèges de l'Ancien Régime, de traditions historiques catholiques. Nombre
de juristes s'accordent afin de qualifier de paradoxal voire de discriminatoire
le fait que perdurent privilèges et traditions religieuses dans un contexte
laïc.
L'évolution de tout pays
résulte notamment de sa capacité à transformer ses mentalités de manière
continue, de sa volonté d'adapter ses lois, toujours perfectibles, aux attentes
d'une époque, d'être porteur de valeurs
capables de cimenter l'unité d'une
Nation. En matière de laïcité, la loi actuellement en vigueur n'a pas vocation
à rester auto-fixée dans une forme d'autisme, se sclérosant de siècle en
siècle. L'histoire sociale nous enseigne qu'aucune société ne peut rester
indéfiniment figée sur des pré carrés
d'un autre temps. La France d'aujourd'hui ne peut plus être à l'image de
l'Europe du début du siècle, telle que
décrite par exemple par Stéphane Zweig, "satisfaite d'elle-même, et ignorante du monde qui se prépare".
Un débat de civilisation émerge dans un contexte dégradé, complexe, douloureux,
incertain: quelles valeurs laïques la France souhaite-t-elle défendre?
Si
le Rapport Baroin en mai 2003 a proposé un
Code de la laïcité, la Commission
Stasi, commission de réflexion sur la laïcité mise en place par Jacques Chirac,
a déclaré en décembre 2003 qu"il
convient de prendre en considération que le paysage spirituel français a changé
en un siècle. La République s’honorerait donc en reconnaissant les jours les
plus sacrés des deux autres grandes religions monothéistes présentes en France,
les bouddhistes organisant leur fête principale un dimanche de mai...» De même, les
Commissions Rossinot et Machelon mandatées
par Nicolas Sarkozy, respectivement en décembre 2005 et en septembre 2006,
concluent également à la nécessité d'adapter le droit des cultes en France.
Rappelons
aussi que la pratique du crédit du jour
férié, en vigueur dans les organisations internationales, dans différents pays
dont la Belgique, peut apparaître au coeur des controverses comme une véritable
alternative laïque, une sage voie du milieu: chaque citoyen aurait le droit de
choisir ses jours fériés sur base du calendrier de sa religion.
En tout état de cause, si
les propositions précitées ont effrayé le plus grand nombre dans l'hexagone, la
France a déjà consenti de longue date un régime particulier en faveur de l'Alsace-Moselle,
de certaines collectivités d'Outre-mer, et du département de la Guyane. L'exception
législative pour les Outre-mer n'est donc pas nouvelle. Et dans cet état
d'esprit de prise en compte des spécificités de nos territoires, on ne peut en
l'an 2015 demander à nos députés, et au droit de continuer à légaliser le rejet des autres religions
présentes sur tout territoire ultramarin, de maintenir des inégalités de traitement
obsolètes, de pérenniser des exclusions diverses inadaptées à l'histoire des
Outre-mer, à tout le moins à celle de La Réunion.
Dès lors, ensemble, au
delà de tout clivage politique, soutenons l'amendement de Ericka Bareigts. Il
répond à une logique fonctionnelle incontournable pour la société ultramarine
du XXIe siècle; il nourrit par ailleurs ce nécessaire mieux Vivre ensemble prométhéen
dans une sphère publique neutre, égale, impartiale.
Ensemble,
incarnons à La Réunion un modèle spécifique concernant une répartition
équitable des jours fériés religieux, fournissons l'exemple d'une réflexion apaisée
et constructive, au delà des querelles intestines et des invectives qui n'ont
pas systématiquement lieu d'être.
Ensemble,
reversons quelques perspectives dans le respect des valeurs républicaines que
nous avons en partage: la liberté, l'égalité, la fraternité.
Ensemble,
répondons à des défis urgents: investissons avec plus d'acuité dans
l'éducation, sensibilisons les générations futures vers de nouvelles écoles de
l'humanité, distillons une philosophie de la non-violence, de la tolérance, de
la bienveillance, du respect du Différent qui sonnerait par ailleurs le glas de
toute forme de barbarie basée sur des motifs religieux, ethniques.
Et
ce, afin d'envisager d'autres écritures d'harmonie sociale, de paix, pour
construire d'autres possibles et de tendre vers l'unité d'une humanité toujours
plurielle.
Yola Minatchy
Avocate
au barreau de Bruxelles
Présidente du Réseau des
Talents de l'Outre-Mer