L’Isle de France, Maurice et la Francophonie




Abandonnée par les Hollandais, notre île est administrée et acquiert une véritable reconnaissance internationale lorsqu’elle est devenue officiellement l’Isle de France, sous administration française. L’administration française a duré presque un siècle (de 1715 à 1810) mais son influence a perduré jusqu’à nos jours. Il est bien connu que Bertrand-François Mahé de Labourdonnais a fait prospérer l'Isle de France très rapidement avec la fondation de plusieurs villes dont Port-Louis, la construction d’édifices administratifs (l’Hôtel du Gouvernement notamment), de magasins, d’entrepôts et de casernes militaires et Pierre Poivre a donné à l’île une structure environnementale et un nouvel aménagement.

Après l’acte de capitulation de 1810 par les Français, l’île est passée sous l’administration britannique mais celle-ci, conformément à leur pratique d’alors, avait indiqué que les habitants de l’île, devenue Maurice, pouvaient conserver leur « religion, lois et coutumes ». Les Britanniques ont consenti à ce que les habitants de l'île Maurice et de l'île Rodrigues continuent d’utiliser leur langue, leur religion, leur Code civil, leurs traditions et leurs douanes. Peu nombreux et n’ayant pas l’intention de peupler l’archipel, les Anglais avaient fait des concessions. Si toutefois les hauts fonctionnaires français ont été remplacés, la grande majorité des Franco-Mauriciens blancs, avaient décidé d’y rester et poursuivre l’exploitation des terres et commerces. Appuyés par le clergé catholique, ils ont opposé une résistance opiniâtre aux velléités gouvernementales de mainmise linguistique.

Le Français a été maintenu jusqu’en 1832 où le gouvernement colonial anglais a imposé une première politique linguistique : la langue anglaise est devenue obligatoire pour les Mauriciens lors de toute communication avec les autorités britanniques. L’année suivante, l’anglais a été érigé en l’unique langue de l’Administration en servant de critère d’embauche dans les services gouvernementaux.

Malgré cette politique d’introduction le l’anglais comme langue officielle, le français s’est maintenu fièrement comme la langue de la société civile cultivée. La presse écrite francophone a maintenu son essor et s’est développé. Des liens avec la France ont repris progressivement et en particulier après la seconde guerre mondiale.

Lors de l’accession de Maurice à l’indépendance en 1968, les autorités britanniques n’ont pu que prendre acte de cette réalité en énonçant que, même si l’anglais est la langue officielle du pays, le français est une langue de travail à l’Assemblée Législative. Les parlementaires peuvent communiquer en Français, ce qui est toujours le cas. Les Gouvernements mauriciens de l’après Indépendance ont réintroduit la réforme des lois d’origine française, dont le Code civil, en Français.

Maurice est membre de la Francophonie depuis le premier Sommet constitutif de 1986 à Versailles. La langue française s’est développée d’une manière très singulière à Maurice. Enseignée dès la maternelle ou les primaires, elle est la langue dominante au sein des médias. La grande majorité des journaux écrits sont publiés en Français. Le journal principal de la télévision nationale se fait encore en Français malgré l’introduction de plus en plus importante du créole lors des reportages. Les radios libres ont consolidé la place du français dans la diffusion de l’information et des émissions. Les chaînes de télévision étrangères reçues à Maurice sont majoritairement en français. Un certain nombre de lycées français ont vu le jour et des certains instituts d’enseignement supérieur offrent des cours en français.

Néanmoins, l’on ne peut que constater que le Français mauricien, tel qu’il s’est maintenu et développé, est resté seulement comme une langue populaire, parlée par la société civile. Il n’a pas pu acquérir de nouveau un statut, même partielle, de langue administrative ou technique. L’Administration mauricienne ne communique officiellement qu’en anglais à quelques exceptions près. Parallèlement, la langue créole, qui était un prolongement du français, évolue vers une autonomie en ayant une graphie phonétique propre et en intégrant de plus en plus de termes anglais. A titre indicatif, l’on ne dit pas en créole ordinateur portable mais bien « laptop » ou encore l’on ne dit pas « micro-ondes » mais « microwaves » etc. La liste peut être longue pour tous les nouveaux objets.

Si le Français a beaucoup progressé dans les médias, il a régressé en tant que langue de l’Etat dans les rares domaines où il était réservé. Très peu de députés s’adressent au Perchoir (Chair of the Speaker) en Français encore. L’ensemble des interventions parlementaires se font en anglais. Dans ce même prolongement, l’idée de traduire le Code civil, texte historique faisant partie de notre patrimoine, en anglais est l’illustration de ce recul du français comme langue même partiellement officielle de notre pays.

Il y a lieu de se ressaisir. Le Français est une langue internationale, officielle de l’ONU et de l’Union Européenne. Nous sommes membres de la Francophonie. Dans notre région, l’Océan-Indien et en Afrique, le Français est très répandu. Nous avons des rapports historiques et culturels forts et une très grande coopération avec la France. Il est dès lors nécessaire d’avoir une véritable politique francophone à Maurice d’autant que le Français est nettement plus accessible aux mauriciens que l’anglais. Notre bilinguisme a fait notre force et la fierté de beaucoup de mauriciens. Nous devons la consolider et lui accorder un nouvel élan.

Dr Ismael DILMAHOMED

Ancien Ambassadeur de Maurice en France