Droits de l'Homme





21 mars 2015, journée internationale pour l'élimination des discriminations raciales

 

Apprendre des tragédies historiques pour mieux lutter contre la discrimination raciale

Message de Irina Bokova, Directrice-Générale de l’UNESCO

La connaissance de l’histoire et le souvenir des crimes passés peuvent nous permettre de construire un avenir de paix, comme un antidote à la haine et aux préjugés. C’est dans cet esprit que la Journée internationale pour l'élimination de la discrimination raciale est dédiée cette année à la préservation de la mémoire de la traite négrière.

"La promotion des droits de l’homme reste une mission essentielle, pas seulement lors de la Journée des droits de l'homme, mais chaque jour de l’année, pour chaque femme et homme partout dans le monde. "
Irina Bokova
 - Directrice générale de l’UNESCO

L’UNESCO travaille sans relâche depuis de nombreuses années pour diffuser l’enseignement de l’histoire de l’esclavage et de la traite négrière, reconnus comme un crime contre l’humanité en 2001. Il est essentiel de déconstruire les stéréotypes et les préjugés qui ont justifié l’exploitation d’êtres humains par d’autres êtres humains, et qui persistent encore aujourd’hui en s’appuyant sur l’ignorance et la haine, sous les formes diverses de la discrimination raciale, de la xénophobie et du rejet de l’autre.
En menant des programmes éducatifs et culturels, comme celui de la Route de l’esclave, de l’Histoire générale de l’Afrique, en préservant le patrimoine documentaire de la Mémoire du monde, notre conviction est que si le crime a mobilisé plusieurs nations, la mémoire du crime peut aujourd’hui, dans un mouvement inverse, rapprocher les nations et éclairer les connexions irréversibles qui se sont créées entre les peuples. Ce message est essentiel aujourd’hui pour aider à vivre ensemble dans nos sociétés multiculturelles et c’est précisément le message de la Décennie internationale des personnes d'ascendance africaine.
Notre devoir est surtout de rappeler que les tragédies du passé éclairent aussi le courage et la détermination des peuples qui ont fait avancer la dignité humaine en luttant contre l’oppression jusqu’à l’abolition de l’esclavage. Nous en sommes tous éternellement redevables et cette volonté doit guider le combat contre les formes modernes d’esclavage, d’oppression et de discrimination. Les initiatives de la Coalition internationale des villes contre le racisme montrent que des progrès importants sont possibles dans la lutte contre le racisme et la discrimination à travers l’adoption de politiques locales anti-discrimination plus efficaces.
Au moment où les Nations Unies inaugurent le Mémorial permanent des victimes de l’esclavage et de la traite négrière, la transmission de l’histoire reste notre boussole pour éclairer l’avenir et construire la paix dans l’esprit des hommes et des femmes. Il n’existe pas de moteur plus puissant de la dignité et de la liberté. C’est le sens des paroles de Toussaint Louverture, principal acteur de la révolte victorieuse des esclaves en Haïti en 1791: « Je suis né un esclave, mais la nature m'a donné l’âme d'un homme libre. »

Source UNESCO
http://www.unesco.org


Journée mondiale de la Francophonie






20 mars 2015
Une histoire de la Francophonie
 



Le terme « francophonie » est apparu vers la fin du XIXe siècle, pour décrire l’ensemble des personnes et des pays utilisant le français. Il acquiert son sens commun lorsque, quelques décennies plus tard, des francophones prennent conscience de l’existence d’un espace linguistique partagé, propice aux échanges et à l’enrichissement mutuel. Des hommes et femmes de lettres seront à l’origine de ce mouvement. Quoi de plus naturel pour une entreprise adossée à l’usage de la langue.

PREMIERS PAS

Des écrivains initient le processus, dès 1926, en créant l’Association des écrivains de langue française (Adelf) ; suivent les journalistes, regroupés en 1950 au sein de l’Union internationale des journalistes et de la presse de langue française (aujourd’hui Union de la Presse francophone) ; en 1955, une Communauté des Radios publiques francophones est lancée avec Radio France, la Radio suisse romande, Radio canada et la Radio belge francophone. Cette communauté propose aujourd’hui, avec une audience sans cesse accrue, des émissions communes diffusées simultanément sur les ondes des radios membres, contribuant ainsi au renforcement du mouvement francophone à travers le monde.
En 1960, la première institution intergouvernementale francophone voit le jour avec la Conférence des Ministres de l’Education (Confemen) qui regroupait au départ 15 pays. Cette conférence ministérielle permanente compte aujourd’hui 41 Etats et gouvernements membres. Elle se réunit tous les deux ans pour tracer les orientations en matière d’éducation et de formation au service du développement.
Les universitaires s’en mêlent à leur tour en créant, une année plus tard, l’Association des universités partiellement ou entièrement de langue française, qui deviendra, en 1999, l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF). L’AUF compte aujourd’hui 677 établissements d’enseignement supérieur et de recherche répartis dans 81 pays. Elle est l’un des opérateurs spécialisés de la Francophonie.
Le mouvement s’élargit aux parlementaires qui lancent leur association internationale en 1967, devenue l’Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF) en 1997. Elle regroupe actuellement 65 parlements membres et 11 observateurs et représente, selon la Charte de la Francophonie, l’Assemblée consultative du dispositif institutionnel francophone.
La Conférence des ministres de la Jeunesse et des Sports (Conféjes), créée en 1969, est, avec la Confémen, la deuxième conférence ministérielle permanente de la Francophonie.
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L’AVÈNEMENT DE LA COOPÉRATION FRANCOPHONE

"Dans les décombres du colonialisme, nous avons trouvé cet outil merveilleux, la langue française", aimait à répéter le poète Léopold Sédar Senghor, ancien président du Sénégal. 
Une formule qui reflète la philosophie des pères fondateurs de la Francophonie institutionnelle - Senghor et ses homologues tunisien, Habib Bourguiba et nigérien, Hamani Diori, ainsi que le Prince Norodom Sihanouk du Cambodge - et qui consiste à mettre à profit le français au service de la solidarité, du développement et du rapprochement des peuples par le dialogue permanent des civilisations.
C’est là tout l’objet de la signature à Niamey, le 20 mars 1970, par les représentants de 21 Etats et gouvernements, de la Convention portant création de l’Agence de coopération culturelle et technique (ACCT). Nouvelle organisation intergouvernementale fondée autour du partage d’une langue commune, le français, chargée de promouvoir et de diffuser les cultures de ses membres et d’intensifier la coopération culturelle et technique entre eux. Le projet francophone a sans cesse évolué depuis la création de l’ACCT devenue, en 1998 l’Agence interouvernementale de la Francophone et, en 2005, l’Organisation internationale de la Francophonie.
Avec l’ACCT, la coopération s’engage dans les domaines de la culture et de l’éducation. 
Partenaire depuis le début des années 70 du Fespaco, le Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ougadougou (Burkina Faso), l’Agence crée en 1988 son Fonds francophone de production audiovisuelle du Sud qui aura aidé, à ce jour, à la réalisation de 1400 œuvres de cinéma et de télévision. 
En 1986 est inauguré le premier des Centres de lecture et d’animation culturelle - Clac - qui offrent aux populations des zones rurales et des quartiers défavorisés un accès aux livres et à la culture. On en dénombre aujourd’hui 295, répartis dans 21 pays.
En 1993, le premier MASA, Marché des arts du spectacle africain est organisé à Abidjan (Côte d’Ivoire). Parallèlement, un programme d’appui à la circulation des artistes et de leurs oeuvres est lancé ouvrant les frontières aux créations d’arts vivants : théâtre, danse, musique.
En 2001, l’Agence crée un nouveau prix littéraire, le Prix des cinq continents de la Francophonie, qui consacre chaque année un roman de langue française. De grands noms de la littérature francophone s’engagent à ses côtés : Jean-Marie Gustave Le Clésio, René de Obaldia, Vénus Khoury Ghatta, Lionel Trouillot font notamment partie du Jury. Des écrivains tels que Mathias Esnard et Alain Mabanckou, lauréats respectivement en 2004 et 2005, s’affirment dans la sphère littéraire.
Dans les années 70 et 80, les réseaux francophones s’organisent. Un Conseil international des radios télévisions d’expression française (CIRTEF) est créé en 1978. Composé aujourd’hui de 44 chaînes de radiodiffusion et de télévision utilisant entièrement ou partiellement la langue française, il développe la coopération entre elles, par l’échange d’émissions, la coproduction et la formation des professionnels.
En 1979, à l’initiative de Jacques Chirac, maire de Paris, les maires des capitales et métropoles partiellement ou entièrement francophones créent leur réseau : L’Association internationale des maires francophones (AIMF) deviendra, en 1995, un opérateur de la Francophonie.
En 1984, la chaîne de télévision francophone TV5 naît de l’alliance de cinq chaînes de télévision publiques : TF1, Antenne 2 et FR3 pour la France, la RTBF pour la Communauté française de Belgique et la TSR pour la Suisse ; rejointes en 1986 par le Consortium de Télévisions publiques Québec Canada. TV5Afrique et TV5 Amérique Latine voient le jour en 1992, suivies par TV5Asie en 1996, puis de TV5Etats-Unis et TV5Moyen Orient en 1998. La chaîne, dénommée TV5Monde depuis 2001, compte aujourd’hui 7 chaînes de télévision et TV5 Québec-Canada. Transportée par 44 satellites, reçue dans 189 millions de foyers de par le monde, elle constitue le principal vecteur de la Francophonie : la langue française, dans la diversité de ses expressions et des cultures qu’elle porte.


UNE NOUVELLE DIMENSION POLITIQUE

Le Sommet des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant le français en partage, communément appelé "Sommet de la Francophonie", se réunit pour la première fois en 1986 à Versailles (France), à l’invitation du Président de la République française François Mitterrand. 42 Etats et gouvernements y participent et retiennent quatre domaines essentiels de coopération multilatérale : le développement, les industries de la culture et de la communication, les industries de la langue ainsi que le développement technologique couplé à la recherche et à l’information scientifique. 
Depuis 1986, 12 Sommets de la Francophonie se sont réunis : 
1986 à Paris (France), 1987 à Québec (Canada-Québec), 1989 à Dakar (Sénégal), 1991 à Paris (France) initialement prévu à Kinshasa (Congo RD), 1993 à Grand-Baie (Maurice), 1995 à Cotonou (Bénin), 1997 à Hanoi (Vietnam), 1999 à Moncton (Canada-Nouveau Brunswick), 2002 à Beyrouth (Liban), 2004 à Ouagadougou (Burkina Faso), 2006 à Bucarest (Roumanie), 2008 à Québec (Canada-Québec).
Ces concertations politiques au plus haut niveau ont progressivement renforcé la place de la Francophonie sur la scène internationale, tout en élargissant ses champs d’action et en améliorant ses structures et modes de fonctionnement.
Pour être plus conforme à la dimension politique qu’elle a acquise, la Francophonie est dotée sur décision du Sommet de Cotonou (1995, Bénin) d’un poste de Secrétaire général, clé de voûte du système institutionnel francophone. Le premier Secrétaire général est élu au Sommet de Hanoi (Vietnam) en 1997, en la personne de Boutros Boutros-Ghali, ancien Secrétaire général des Nations unies – il occupera ce poste jusqu’en 2002. Au cours de ce même Sommet, la Charte de la Francophonie, principal texte de référence, est adoptée.
Abdou Diouf, ancien Président de la république du Sénégal, est élu Secrétaire général de la Francophonie au Sommet de Beyrouth en 2002. Il impulse une nouvelle dynamique à l’Organisation dans ses deux volets : les actions politiques et la coopération pour le développement. Une nouvelle Charte de la Francophonie adoptée par la Conférence ministérielle à Antananarivo (Madagascar) en 2005, rationalise les structures de la Francophonie et ses modes de fonctionnement et consacre l’appellation d’Organisation internationale de la Francophonie.
A la culture et à l’éducation, domaines originels de la coopération francophone, se sont ajoutés, au fil des Sommets, le champ politique (paix, démocratie et droits de l’Homme), le développement durable, l’économie et les technologies numériques. L’Institut de l’énergie et de l’environnement de la Francophonie voit le jour à Québec en 1988 et un Institut des nouvelles technologies de l’information et de la formation doté d’un Fonds des inforoutes remplace l’Ecole internationale de Bordeaux en 1998.
Dans le domaine capital de la promotion de la démocratie, l’OIF envoie sa première mission d’observation d’un processus électoral en 1992, lors des présidentielles et législatives en Roumanie. L’assistance électorale offerte en réponse à la demande des Etats concernés, ne se limite pas à l’observation des scrutins. Elle englobe divers appuis institutionnels et juridiques, la formation des personnels électoraux, l’assistance technique et matérielle. 
En 2000 au Mali, la « Déclaration de Bamako », premier texte normatif de la Francophonie en matière de pratiques de la démocratie, des droits et des libertés est adoptée. La Francophonie se dote ainsi de pouvoirs contraignants face à ses membres qui ne respectent pas les valeurs démocratiques communes.


AU PLUS PRÈS DES POPULATIONS

Avec les premiers Jeux de la Francophonie en 1989, la Francophonie institutionnelle prend une dimension populaire et se met à l’écoute de la jeunesse : le Maroc accueille 1700 jeunes de 31 pays francophones autour de concours culturels et sportifs. Depuis, les jeux se tiennent tous les quatre ans : France (1994), Madagascar (1997), Canada-Québec (2001), Niger (2005) et Liban (2009).
Une Conférence francophone des organisations internationales non gouvernementales tenue en 1993 avec la participation de 31 OING accréditées auprès des instances de la Francophonie associe désormais la société civile au processus d’élaboration, de réalisation et d’évaluation de la coopération multilatérale francophone. La Conférence des OING se réunit tous les deux ans sur convocation du Secrétaire général de la Francophonie. En 2012, 67 organisations internationales non gouvernementales et autres organisations de la société civile, intervenant dans les divers champs d’activité de la Francophonie sont accréditées.

Un long chemin a été parcouru depuis les premières réunions d’écrivains francophones, à l’aube du siècle dernier, jusqu’à la diffusion de leurs ouvrages, aux quatre coins du monde, dans les bibliothèques installées par l’OIF. Rendons grâce à la bonne volonté de tous ceux et celles qui ont fait et continuent de faire vivre la langue française et de défendre les valeurs la Francophonie. 
Pour autant, de nouveaux défis attendent la Francophonie : parfaire l’intégration de tous les pays francophones dans une mondialisation plus heureuse et poursuivre le combat pour le respect de la diversité culturelle.

Source: OIF
http://www.francophonie.org/Frise-historique-interactive-de-la.html






Droit de l'environnement




« Ce qu’a fait Chevron en Équateur est un crime,

et pour que justice soit faite,

il faut que ce crime soit reconnu comme tel »

 

11 février 2015 
















Depuis plusieurs années, les habitants de l’Amazonie équatorienne ont engagé un bras de fer juridique aux multiples rebondissements pour obtenir justice suite à la pollution dramatique de leur environnement par le groupe pétrolier américain Chevron. Ils viennent de saisir la procureure générale de la Cour pénale internationale de La Haye pour faire condamner les dirigeants de Chevron au titre de leur contribution à un « crime contre l’humanité ». Un geste doublement significatif, puisque c’est la première fois que cette instance se pencherait sur un crime de nature environnemental, et la première fois qu’elle viserait le dirigeant d’une entreprise privée. Entretien avec Eduardo Toledo, l’un des juristes qui assistent les victimes dans cette procédure.

En 2013, la Cour nationale de justice équatorienne, la plus haute instance du pays, condamnait l’entreprise pétrolière américaine Chevron à verser 9,5 milliards de dollars d’amende. Cette décision de justice historique visait à apporter réparation aux victimes de la pollution catastrophique occasionnée par les activités de Texaco (depuis fusionnée avec Chevron) en Amazonie équatorienne (lire notre article). Depuis, les victimes et leurs avocats ont engagé un bras de fer juridique d’envergure internationale pour faire appliquer cette sentence. Car Chevron, après avoir fait des pieds et des mains pour ne pas être jugée aux États-Unis, se prétend aujourd’hui victime d’une conspiration, et refuse de payer.

Alors que la procédure civile a ainsi débouché sur une condamnation de Chevron qui reste à exécuter, les victimes réunies au sein de l’UDAPT (Unión de los afectados y afectadas por los operaciones de la pétrolera Texaco) et leurs avocats ont décidé, en octobre 2014, de saisir la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye pour qu’elle ouvre une enquête criminelle sur le PDG de Chevron John Watson. Celui-ci est accusé avec les autres dirigeants de l’entreprise d’avoir délibérément refusé de remédier aux problèmes de pollution, et à leurs conséquences dévastatrices pour les populations de la Région de l’Oriente (Amazonie équatorienne). C’est la première fois qu’un dirigeant d’entreprise privée est attaqué devant la Cour pénale internationale, et aussi la première fois que cette instance est saisie pour un crime de nature environnementale.

Eduardo Toledo, juriste argentin, est l’une des chevilles ouvrières de cette procédure devant la Cour pénale internationale, aux côtés de Pablo Fajardo, l’avocat principal des victimes. Il a répondu à nos questions en marge d’une rencontre organisée par le groupe de la Gauche unitaire européenne au Parlement européen et le réseau « Stop Corporate Impunity », qui milite pour la mise en place d’un traité international contraignant sur la responsabilité des multinationales en matière de droits humains.


Comment en êtes-vous venu à vous occuper de cette procédure contre les dirigeants de Chevron ?
Je travaille pour une organisation de protection des droits de l’homme en Argentine appelée Xumek, dans la province de Mendoza. Nous travaillons surtout sur des formes dures d’atteintes aux droits humains : violences institutionnelles, torture, violences liées à la période de la dictature, violences dans les prisons. Parallèlement, je me suis engagé dans la rédaction d’une thèse en droit pénal international, laquelle porte sur la question très importante de la responsabilité pénale des dirigeants d’organisations – organisations militaires, mais aussi organisations privées comme des entreprises. C’est dans ce cadre, alors que j’étais à Rome, que j’ai rencontré un ancien collègue - le procureur Gustavo Gómez d’Argentine- , qui m’a parlé des poursuites pénales internationales envisagées contre les dirigeants de Chevron. J’apporte mon aide pour cette procédure à Pablo Fajardo, avocat principal des victimes et coordinateur de toutes les actions judiciaires en cours au niveau international.

Justement, des poursuites judiciaires ont déjà été engagées contre des dirigeants de multinationales pour leur implication dans des atteintes aux droits humains durant la période de la dictature en Argentine [1].
Il y a un seul exemple de condamnation de dirigeants d’une entreprise pour des faits de ce type. Il s’agit de Ledesma, une entreprise sucrière. D’autres procès sont en cours, et leurs résultats seront très importants. Les procédures judiciaires contre les contributeurs militaires aux atteintes aux droits humains pendant la dictature argentine sont nombreuses, et beaucoup ont été menées à bien. Mais il reste les contributeurs civils, comme les dirigeants d’entreprises, les hommes politiques et aussi les contributeurs issus de l’Église.

Avant d’entrer dans le détail de la procédure pénale visant les dirigeants de Chevron, pouvez-nous nous rappeler où en est la procédure civile initiée par les victimes ?
La procédure civile, dont le but était d’obtenir réparation pour les pollutions occasionnées par les activités de Texaco et leurs conséquences sur l’environnement et la santé des populations locales, a commencé aux États-Unis en 1992. C’était au moment de la fusion de Chevron et Texaco. En 2001, sur l’insistance démesurée des avocats de Chevron, la justice américaine a décidé qu’elle n’était pas compétente, et que l’affaire devait être jugée en Équateur. Donc, après la fusion, les avocats de Chevron ont signé un accord acceptant de se plier à la décision de la justice équatorienne. C’était avant qu’ils changent d’avis et commencent à dire que la justice équatorienne est la plus corrompue au monde…
Pour faire bref, cette procédure civile a abouti en 2013 avec un jugement de la Cour nationale de justice de l’Équateur – l’équivalent de la Cour de cassation en France – condamnant l’entreprise et lui instruisant de verser une amende de 9,5 milliards de dollars aux victimes. Cette décision mettait fin à la procédure civile proprement dite, mais Chevron a refusé de s’y soumettre. Il n’était pas possible de faire exécuter le jugement en Équateur, car Chevron n’a plus aucun actif dans le pays. Les avocats des victimes ont donc dû recourir à la Convention interaméricaine d’exécution des jugements. Mais comme les États-Unis ne sont pas partie de cette convention, nous avons dû passer par d’autres pays américains où Chevron avait des intérêts. D’abord l’Argentine, où la Cour suprême a fini par refuser notre requête, dans un contexte politiquement difficile puisque Chevron avait mis dans la balance la promesse d’un milliard de dollars d’investissements dans le pays. Aujourd’hui, nous pensons aux autres États américains qui ont ratifié la convention, et nous travaillons sur une procédure au Canada.
Dans le même temps, Chevron a initié aux États-Unis un procès dit « RICO » [2] visant certains des avocats qui ont travaillé sur cette affaire pour les victimes équatoriennes, notamment Steven Donzinger, les accusant de conspiration et de tentative d’extortion. Steven Donzinger a été condamné en mars dernier, mais nous avons bon espoir que cette décision soit renversée en appel dans quelques mois, car le juge Kaplan, qui a rendu la décision en première instance, a vraiment dit des choses incroyables, et intenables, dans sa sentence [3].

Si les victimes ont souhaité initier une procédure devant la Cour pénale internationale, est-ce par frustration devant les difficultés de la procédure civile, ou bien les deux procédures sont-elles complémentaires ?
Les deux procédures sont complémentaires. La procédure civile portait sur la réparation des préjudices considérables subis par l’Amazonie équatorienne – que l’on appelle dans le pays l’Oriente – et ses habitants. Les victimes ont obtenu une décision favorable, même s’il reste à la faire exécuter. Mais elles estiment aussi que ce qu’ont fait Texaco puis Chevron en Équateur est un crime, et qu’il faut faire reconnaître ce crime comme tel au niveau pénal pour que justice soit faite. Or, pour toute une série de raisons, il a semblé plus facile de faire reconnaître ce crime au niveau international plutôt qu’au niveau d’un État. C’est pourquoi nous nous sommes tournés vers la Cour pénale internationale.

Les victimes ou les organisations non gouvernementales peuvent-elles directement saisir la Cour pénale internationale ?
Il y a trois modes de saisines de la Cour pénale internationale. Tout d’abord, les États-membres, qui sont aujourd’hui au nombre de 123, peuvent activer sa compétence. Le Conseil de sécurité des Nations unies dispose aussi de ce pouvoir. Enfin, le procureur général de la CPI (aujourd’hui la Gambienne Fatou Bensouda) peut demander à la Chambre préliminaire de la CPI l’autorisation d’ouvrir elle-même une enquête, sur la base d’informations transmises par des organisations de la société civile au sens large. Mais nous n’en sommes pas encore là : nous avons saisi officiellement la procureure en lui adressant une plainte [4]. Nous attendons maintenant qu’elle examine cette plainte et décide de solliciter l’autorisation d’ouvrir une enquête proprement dite.

A-t-on une idée du délai à prévoir ?
Il n’y a pas de délai fixé d’avance.

Le fait que les États-Unis ne soient pas parties à la Cour pénale internationale est-il un obstacle ?
Non, car la Cour pénale internationale a compétence pour des faits commis sur les territoires des États partie, ce qui est le cas de l’Équateur.

Cette plainte constitue une double première : c’est la première fois que l’on essaie de saisir la Cour pénale internationale contre des dirigeants d’entreprises privées, et c’est aussi la première fois que l’on vise un crime de nature environnementale.
Tout à fait. Il est très important de souligner qu’il s’agit d’une plainte contre une personne physique - John Watson, PDG de Chevron – et non contre l’entreprise Chevron comme personne morale. La Cour pénale internationale ne peut pas poursuivre une personne morale. La plainte vise la ou les personnes qui ont pris les décisions au sein de l’organisation. Nous avons caractérisé ces décisions comme une contribution à des crimes contre l’humanité parce qu’il s’agit d’une attaque contre la population civile de l’Amazonie équatorienne, accomplie en toute connaissance de cause, et de manière généralisée et systématique.

Comment Chevron a-t-elle réagi à l’annonce de votre plainte auprès de la CPI ?
Ils ont eu deux réactions, qui montrent qu’ils sont au moins préoccupés. Tout d’abord, au moment de l’annonce de la plainte, le porte-parole de Chevron aux États-Unis a fait une déclaration solennelle pour dire – comme ils le font régulièrement – que c’est nous qui devrions affronter la justice car nous tentons de les escroquer. Ensuite, un défenseur éminent de Chevron, Douglas Cassel, a publié un billet très émotionnel sur le blog spécialisé Letters Blogatory [5], qui montre que la plainte a suscité une certaine inquiétude.

Est-ce que l’on peut imaginer des plaintes similaires à celle que vous avez déposé contre les dirigeants de Chevron pour d’autres grandes affaires impliquant des multinationales, comme Shell au Nigeria ou la catastrophe de Bhopal en Inde, dont on célèbre le trentième anniversaire ?
En ce qui concerne Bhopal, cela me paraît difficile dans la mesure où il faut réussir à faire valoir qu’il y a eu contribution au crime depuis 2002, année où la Cour pénale a commencé ses travaux. La CPI n’a pas compétence avant 2002. Pour le Nigeria en revanche, il me semble tout à fait envisageable de saisir la CPI sur la question du torchage de gaz occasionné par les activités pétrolières (lire notre article). Il y aurait d’autres exemples possibles.

Peut-on dire que la Cour pénale internationale est potentiellement plus à l’abri de l’influence des intérêts économiques et des interférences politiques que d’autres juridictions ?
La Cour pénale internationale a une grande autorité et une très grande indépendance. Jusqu’à présent, elle est restée totalement à l’abri des intérêts économiques. Il faut maintenant concrétiser quelque chose qui est envisagé depuis longtemps par certains juristes : que l’on peut utiliser le droit international tel qu’il existe, en matière de crimes de guerre, de génocide, etc., pour condamner des personnes qui se rendent responsables de ces crimes à travers leur activité économique. Ce n’est pas une idée folle. Dès les premières discussions en 1988 autour du Statut de Rome et de la mise en place de la Cour pénale internationale, de nombreux juristes ont avancé qu’il était possible d’utiliser le droit international pour poursuivre des dirigeants d’entreprise et pour des crimes liés à l’environnement.

Vous évoquiez la plus grande difficulté qu’il y aurait à poursuivre des crimes de ce type au niveau national.
L’Argentine et l’Espagne ont la juridiction universelle. En France, le cadre juridique est un peu différent, mais c’est un peu la même chose, et c’est le cas aussi dans la plupart des pays occidentaux. Le problème n’est pas celui de la juridiction. Le problème est qu’il s’agit de crimes impliquant des acteurs économiques internationaux qui ont parfois plus de pouvoir que les États. Un gouvernement d’un pays du Sud ne voudra pas initier une procédure qui pourrait nuire au développement du pays et au bien-être de sa population en effrayant les investisseurs étrangers. Quand Chevron promet un milliard de dollars d’investissements en Argentine, le gouvernement argentin ne va pas lui imposer des conditions et des contrôles très stricts, parce que sinon Chevron ira voir ailleurs.

Comment pourrait-on renforcer les justices nationales de ce point de vue ?
Il serait important de mettre en place des normes internationales qui incluent des mécanismes de mise en œuvre au niveau national. Soit il faut une convention internationale prévoyant des moyens de contrôle au niveau local et national, et donnant la possibilité de poursuivre les criminels devant les tribunaux nationaux, comme c’est le cas pour la convention internationale contre la torture. Soit il faut une convention obligeant les États parties à ajuster leur droit national : c’est le système de la Cour pénale internationale et de la Cour interaméricaine des droits de l’homme.

Quel a été le rôle de l’État équatorien dans les procédures civile et pénale initiées par les victimes de Chevron ? Ces démêlés sont-ils à l’origine de la proposition du gouvernement équatorien d’élaborer un traité contraignant sur la responsabilité des multinationales dans le cadre des Nations unies (lire notre article) ?
Il est possible que cette proposition de traité contraignant soit liée à Chevron, mais le gouvernement équatorien n’a jamais travaillé directement sur cette affaire avec les victimes ou leurs avocats. Il est confronté à d’autres problèmes avec Chevron, puisque l’entreprise a utilisé un traité bilatéral d’investissement pour poursuivre l’Équateur – alors même qu’elle avait déjà quitté le pays – devant le tribunal d’arbitrage de La Haye. La stratégie du gouvernement est aussi différente de la nôtre dans la mesure où il souhaite que des activités pétrolières se poursuivent sur le territoire équatorien, et ne peut pas adopter un positionnement vis-à-vis de Chevron qui mette en cause ses propres projets extractivistes. Avec les représentants du gouvernement, nous faisons même attention à ne pas nous croiser sur le terrain, car Chevron utilise toujours chaque rencontre pour nous attaquer.


Propos recueillis par Olivier Petitjean
Source Observatoire des multinationales


Photo : Rainforest Action Network
[1] Voir les informations rassemblées ici.
[2] Du nom de la loi « Racketeer Influenced and Corrupt Organizations Act » visant les organisations constituées en vue d’actions de racket et d’extortion.
[3] Sur ce procès et la stratégie juridique agressive de Chevron, lire (en anglais) cet article du magazine Rolling Stone.
[4] Dont le texte est accessible ici.
[5] En réponse à un billet du professeur Kevin Jon Heller dans un autre blog de droit international Opinio Juris.