La mondialisation du droit

A l’orbe de la planète, l’intensification des échanges, la vitesse de diffusion des idées ont amené les peuples à se fondre dans le phénomène de mondialisation.

La mondialisation incarne un de ces termes qui s’insinue subrepticement dans nos dictionnaires, notre vocabulaire sans qu’on prenne la mesure de son exacte portée. Au fil des années, il s’avère que plus que certains mots, la mondialisation véhicule des éléments structurants d’une construction idéologique[1].

Dans le domaine artistique, le stridentisme, né au Mexique dans les années 1920, a symbolisé une des premières formes d’une mondialisation de l’Art. En mettant en avant des valeurs universelles, le mouvement stridentiste s’élevait contre les valeurs identitaires mexicaines imaginant des projets aussi chimériques que celui de détruire la ville de Jalapa, à l’architecture coloniale remarquable. L’ultime dessein visait à transformer Jalapa en village futuriste sous le nom de Stridentopolas[2].

Dans son dernier panorama de l’économie mondiale, le Fonds Monétaire International (FMI) définit la mondialisation comme « l’interdépendance économique croissante de l’ensemble des pays du monde, provoquée par l’augmentation du volume et de la variété des transactions transfrontières de biens et de services, ainsi que des flux internationaux de capitaux, en même temps que par la diffusion accélérée et généralisée de la technologie »[3].

A l’aube d’une ère nouvelle, la mondialisation, expression de généralisation du système de production capitaliste à l’échelle planétaire, ne se réduit plus qu’à la dimension économique nécessitée par le mouvement des marchandises, de l’argent et des individus. La mondialisation influe aujourd’hui sur un tissu sociétal complet et tend idéalement vers une conception moniste du monde.

De même, la globalisation de la société humaine se révèle indissociable d’un processus de promotion de normes universelles. En effet, le droit n’est pas une sphère séparée du phénomène de mondialisation dans la mesure où il entretient avec la politique, la morale et l’économie des liens multiples[4]. La mondialisation juridique a pour vocation de contribuer au fonctionnement de la société internationale en lui apportant des règles de bonne gouvernance mondiale.

A la somme de textes communautaires et nationaux s’ajoute une prolifération importante de normes internationales. Une somme de règles juridiques que le président de la République Française, Jacques Chirac, a qualifié de « polyphonie juridique » lors d’un colloque à la Sorbonne[5]. Cette évolution du droit international s’explique sans doute par la mutation de la conscience juridique universelle. Certes, « la société internationale se juridicise et le droit international se juridictionnalise » ajoute Philippe Weckel[6]. en 2004

Corrélativement, en une décennie, nous avons pu observer une augmentation des mécanismes juridictionnels, quasi juridictionnels au niveau international. Aux nécessaires instances telles que la Cour internationale de justice, la Cour permanente d'arbitrage, la Cour pénale internationale, un organe spécialisé qui fêtera ses 10 ans le 1er janvier 2005[7] phagocyte les feux de l’actualité en droit du commerce international : il s’agit de l'Organe de Règlement des Différends (ci-après ORD) de l'Organisation Mondiale du Commerce (ci-après OMC).

L’OMC, cadre multilatéral relatif aux échanges de biens et de services, cristallise les débats divisant les tenants de la standardisation et les partisans de l’exception des normes juridiques, voire les mondialophobes et les mondialophiles.

Sans revendiquer le retour à un régime d’autarcie propre aux sociétés archaïques, ni renier un nécessaire mais modéré libéralisme économique, la mondialisation juridique appelle une vigilance citoyenne croissante.

La perspective unique d’un marché total doté d’un cortège d’effets sociaux néfastes vise à terme la déconstruction de notre identité juridique. D’ici à un Stridentopolas mondial, la frontière se rétrécit telle une peau de chagrin…

Pourtant, la multiplicité des formes juridiques mondiales constitue une richesse renforçant la connaissance du droit. Or, la mondialisation se construit au détriment de nos valeurs de base, et de nos particularismes juridiques, historiques, culturelles, idéologiques, sociologiques, linguistiques. Alors que notre patchwork culturel mondial, à l’image du découpage de notre planisphère, devrait être mis au service de tous pour un meilleur partage des idées, pour des influences croisées.

Citons ici un extrait de la déclaration universelle de l’UNESCO sur la diversité culturelle adoptée aux lendemains des attentats du 11 septembre 2001 [8] : « Notre planète regorge d’un nombre immense de peuples, de communautés, chacun avec sa langue, ses traditions, ses savoir-faires et ses identités spécifiques qui devraient enrichir nos vies, étant source d’une inépuisable créativité. Loin de nous séparer, la diversité culturelle est une force collective qui devra bénéficier à l’humanité entière ».

A l’aune du règne de l’efficacité économique, la mondialisation du droit est indubitablement en marche. Certes, elle ne se fait que progressivement. Gageons qu’elle ne sera jamais entière, en raison d’un lobbying constant, de forums sociaux: un nécessaire contrepoids en démocratie afin de fédérer des résistances à une institution parfois arbitraire. La mouvance qui tente de construire une planète où la mondialisation ne serait pas synonyme de libéralisation sauvage, et qui s’acharne pour une économie plus solidaire, sociale, plurielle mérite encouragement. Elle ne sera néanmoins pas suffisante sans la volonté de quelques politiques.

L’arbitrage de la Cour internationale de justice de la Haye apparaît sans doute comme la seule instance susceptible d’apprécier la compatibilité et la légitimité des normes internationales véhiculées par l’OMC depuis 10 ans. C’est en ce sens que nous estimons qu’elle pourrait être sollicitée afin de remettre en cause la primauté d’un droit du commerce international, qui se construit en faisant fi des conséquences désastreuses sur d’autres droits : les droits humains, sociaux, environnementaux, culturels…

Jusqu’où doit aller la mondialisation du droit ?

Afin de ne pas transmettre aux générations futures un patrimoine standardisé, déshumanisé, nous avons le devoir de récuser le processus de clonage juridique enclenché.

Yola MINATCHY

Avocate au barreau de Bruxelles

(Extrait de la Mondialisation juridique et l’OMC, publié au Journal des Procès de Bruxelles)



[1] Voir à ce propos, Bernard CASSEN, Le piège de la gouvernance, Le Monde diplomatique, Juin 2001.

[2] Mexique-Europe 1910-1960, Exposition du Musée d’Art Moderne de Lille, 2004.

[3] Martin WOLF, La mondialisation est-elle inévitable, Le Monde diplomatique, juin 1997.

[4] Mireille DELMAS-MARTY, Le relatif et l’universel, Seuil, 2004.

[5] Colloque Bicentenaire du Code civil, grand amphithéâtre de la Sorbonne, 11 mars 2004, Paris.

[6] Conférence de Philippe WECKEL du 24 juillet 2003, La mondialisation du droit, Cerimes, 2003. Philippe WECKEL est professeur de droit international à l'Université de Nice, auteur de nombreuses publications sur divers aspects du droit international, membre du comité de rédaction de la Revue générale de droit international public, il dirige la chronique de jurisprudence internationale de la revue.

[7] On peut également citer parmi les nouveaux organes le Tribunal du droit international de la mer, et les juridictions pénales internationales.

[8] Déclaration entérinée par la 31e session de la Conférence Générale de l’UNESCO le 2 novembre 2001.

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