L’ère de la défrancisation

Pour une francophonie défrancisée, ou des francisés ?

Le français comme signifiant peut se référer à la langue française, au peuple français, à la culture française, pour ne mentionner que quelques acceptions.

L’anglais pourrait signifier pour le britannique une langue et non pas nécessairement pas le Royaume-Uni ; pour l’américain, une langue, sans pour autant dénoter les États-Unis ; ainsi pour l’australien, l’indien, le pakistanais, pour ne citer que ceux-là.

Le français comporte une unité du signifiant pour désigner tant l’expérience culturelle (comprise ici dans un entendement large et commun) que son expression ; communément, la langue et sa culture. L’unité du signifiant a causé une unité de pensée unique en la matière. Ce qui rend parfois difficile la distinction entre langue et culture française.

A cette confusion s’ajoute une négation, une impression partagée hors de l’hexagone française. La culture française pourrait être négatrice de la culture de l'autre (les différents bouleversements médiatiques récents, bien que s’insérant dans des perspectives débattues à la française, sont appréciés différemment hors de l’Hexagone; de l’extérieur, on apprécie l’état d'un peuple, sa capacité de porter le flambeau de la civilisation, et pour cela, ce qu’il fait de la valeur de l'autre).

Il existe beaucoup de peuples qui ont, pour diverses raisons, le français comme langue, tous sans distinction, ayant sur un pied d’égalité la même prétention, riches ou pauvres. On a parlé du « français en partage ». Le français leur appartient comme il appartiendrait à la France.

De la confusion qui s’instaure par l’unité de signifiant, il existe une confusion du destin du français, comme lié à la France. Or ce ne peut être le cas.

L’incapacité politique française de voir les choses sur des horizons internationaux, et de comprendre les vrais enjeux, même l’intérêt de la France, est marquante. (La francophonie fera la France, et non l’inverse. Et celle-ci n’a pas trop de choix : aller vers l'autre, ou ne pas être).

Il existe en ce sens une franco-francophonie, qui a été peut-être également synonyme de francophonie. Or il devient impérieux de défranciser la francophonie. Ce n'est pas une option, ni pour la France, ni pour tous ceux qui ont le français comme langue, mais une nécessité, d'abord identificatoire, mais plus profondément, civilisationnelle, que demande le destin du monde. L’anglais se généralise, parce que l'autre devient le relais de la langue, l'autre est complément nécessaire de projet de civilisation, que ce soit à l’intérieur des pays représentant le noyau anglophone, qu’à l’extérieur de ces pays. Il n’existe pas d’assimilation dans l’anglophonie, entre culture et langue ; la langue hérite des cultures les plus opposées et diversifiés, mais ce vecteur commun de l’anglais reconnaît tous comme référence de soi, au niveau de la langue, sans pour autant être négateur, il appartient à l’autre au même titre qu’à un locuteur mythique.

Contrairement à une certaine pensée pessimiste, la francophonie est à faire et à définir. Elle est à naitre. Pour cela, il nous faut une francophonie défrancisée ; une francophonie de l'autre et non une francophonie des francisés. Une distinction magique qui va créer soudain un monde, un espace universel francophone, ayant la langue comme dénominateur commun soutenue par une richesse de cultures, et non pas de la sècheresse d'une culture unique, d'ailleurs considérée négatrice. Le destin aura alors des tours cachés. Faire de l’autre culturel un soi linguistique, serait une alliance de la plus haute civilisation de nos jours.

Riyad Dookhy, Barrister de Gray’s Inn, Londres

Président de la Société des Juristes francophones du Commonwealth

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