Le droit, instrument de gouvernance dans l’espace économique international

« Les lois ne sont pas de purs actes de puissance ;

ce sont des actes de sagesse, de justice et de raison.

Le législateur […] ne doit point perdre de vue que

les lois sont faites pour les hommes,

et non les hommes pour les lois ;

qu'elles doivent être adaptées au caractère, aux habitudes,

à la situation du peuple pour lequel elles sont faites ;

qu'il faut être sobre de nouveautés en matière de législation… »

Portalis

Un rapport de la Banque Mondial sur l’efficacité économique des différents systèmes juridiques a instillé une nouvelle bataille dans la lutte multiséculaire entre les pays de Common law et les pays de jurisfrancité[1]. Le rapport Doing business de 2004, rédigé sous l’égide d’un lobby anglo-américain des plus efficaces, a cru pouvoir sonner le glas du droit d’inspiration française en déclarant en substance, sans nuance, que la Common law était plus efficace que le droit français au niveau économique.

Le rapport Doing business a été salué par les hydres de la doctrine nord-américaine, et anglo-saxone. Sous l’impulsion du professeur Andrei Scheifer, l’argumentaire de cette offensive repose sur l’idée que l’adoption d’un standard juridique unique sur la scène internationale, la Common law, induirait la croissance économique[2]. Relevons que ledit professeur Andrei Scheifer, enseignant la théorie économique du droit à l’Université de Harvard, ardent défenseur de la Common law en tant que norme de référence dans les échanges internationaux, est notamment un auteur du rapport Doing business.

Dès la publication de ce rapport, alors que le monde célèbre avec faste le bicentenaire du Code civil de 1804, la Communauté des juristes francophones s’insurge dans la presse internationale. Et la résistance s’organise afin d’en découdre avec les assertions infondées, incorrectes, indubitablement partiales des auteurs du rapport Doing business.

Le 11 mars 2004, lors d’un colloque à la Sorbonne, Jacques Chirac propose une stratégie d’influence, et la création d’une Fondation destinée à fédérer les actions de promotion et de diffusion de droit français à l’étranger. La thèse de la Banque Mondiale ne vise manifestement qu’un objectif en mystifiant la Common law : permettre aux pays anglo-américains d’asseoir leur modèle juridique au niveau international comme outil de gouvernance.

Dès lors, le gouvernement, les différentes associations, les professionnels et théoriciens du droit d’inspiration française se mobilisent afin de défendre notre système juridique. En ce sens, il convient notamment de rappeler brièvement que, en termes d’efficacité économique, les caractéristiques du droit d’inspiration française restent pourtant fortement concurrentielles à l’orbe de la planète depuis deux siècles. Le droit de tradition française, doté d’une grammaire juridique universelle, offre une grande sécurité des transactions économiques : notamment en raison de la prévisibilité de la règle de droit, de la rigoureuse simplicité de ses principes, mais aussi de la rapidité et du coût des procédures. Il constitue un instrument efficace pour l’encadrement des échanges internationaux.

Dès lors, les critiques sur la compétitivité de notre droit afin de l’écarter en tant que modèle dans le système juridique européen ou international nous apparaissent peu pertinentes, aléatoires, péremptoires et arbitraires. Et ce, même s’il n’en demeure pas moins criant que les pays de jurisfrancité doivent évoluer, créer du droit afin d’aviver la concurrence en matière économique.

Dans son dernier numéro de 2007-2008, la Revue ‘Culture Droit’ s’interroge sur la réelle pérennité du droit français sur la scène internationale[3]. Existe-il une possible compétitivité de notre droit face à la Common law dans l’espace économique international?

Certes, le droit français a rayonné sur les cinq continents, dans plus de vingt nations depuis le XIX ème siècle. Selon une étude récente de la faculté de droit de l’Université d’Ottawa, la Common law ne représente pas au XXIème siècle le droit prépondérant dans le système juridique international : le système juridique majoritaire dans le monde reste, loin du monolithisme légal, un système mixte, lié à l’évolution historique de chaque nation.

En revanche, les méthodes de création du droit communautaire représenteraient la véritable menace[4]. Alain Ghozi, professeur de droit privé à l’Université de Paris II-Panthéon Assas déclare que « le droit communautaire est souvent le cheval de Troie des conceptions anglo-américaines, dans certains domaines, en matière financière par exemple, en raison de l’efficacité des lobbys anglais présents à Bruxelles, plus volontiers perméables aux influences nord-américaines ».

En effet, dans les cénacles européens, la prégnance du modèle anglo-américain pénalise la francophonie juridique. La codification du droit des contrats[5] par les instances européennes, ou la récente refonte des normes comptables reflètent les exemples les plus marquants de nouvelles constructions juridiques fondées sur le modèle de la Common law.

Aujourd’hui, le rayonnement international du droit d’inspiration française vit à l’heure des algorithmes incertains face aux lobbies anglo-américains. D’où la nécessité pour les francophones de renforcer la coopération judiciaire, de consolider, voire de construire des alliances à l’échelle planétaire certes, mais aussi à Bruxelles.

Renoncer à s’investir, à s’ouvrir, à innover dans ce contexte de mondialisation juridique, c’est aussi laisser place à l’impérialisme outre-Atlantique, aux artisans d’un monde uniformisé poursuivant la mise place d’un seul droit, la Common law, en une seule langue, l’anglais.

Yola MINATCHY

La Présidente



[1] Doing business in 2004: understanding regulation, The World Bank/ Oxford University Press, 2004, Report No: 27147, 217 p.

[2] Dans une veine similaire, Richard A. POSNER, de l’Ecole d’analyse du droit économique de Chicago, avait déjà conclu rapidement depuis 2002 à l’efficience supérieure du système juridique de Common law par rapport au système de droit codifié, considéré inadapté aux besoins du marché économique. Voir ses travaux : Richard. A. POSNER, Les bases économiques du droit privé, Edward Elgar édit. Ltd 2002.

[3] Culture Droit, Droit français, la fin d’une ère ? N°14, décembre 2007-janvier 2008.

[4] Lire SACCO, Codificiare: modo superato di legiferare?, Riv dir civ, 1983, 117, p 119.

[5] Lire COLLINS, Transaction Costs and Subsidiarity in European Contract Law, Kluwer law International 2002, p 269.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour, juste parce que je le vois en passant: il faut un "e" à "Banque Mondiale" (1ère ligne de l'article).
A part cela, eh bien tous mes encouragements pour vos efforts.
Bonne vie,
Luc Broché

Anonyme a dit…

Tout en étant d'accord avec vous sur le caractère partisan des analyses des rapports Doing business, je me permets de penser que les luttes de systèmes ne serviront à rien et qu'il serait mieux de penser au droit comme un TOUT se globalisant.
Comment donner à la tradition civiliste une bonne place dans les sources de ce droit nouveau: telle doit être notre préoccupation puisque les questions de supériorité d'un système sur l'autre sont dénuées souvent de tout fondement objectif.
Qu'on le veuille ou non, la fusion s'opérera et seuls ceux qui y auront le plus tôt réfléchi en sortiront gagants...
Je travalle actuellement en partie sur la question...
Au demeurant je vous souhaite du courage.
Karel DOGUÉ