Chacun
souhaiterait – sans doute – être défendu par l’ « Avocat du Diable »,
le jeune et brillant avocat de Floride qui se rend à New-York pour joindre un
des plus grands cabinets d’avocats de la ville. Mais au sein des cours et des
tribunaux des juridictions de civil law
en Europe, on ne verra jamais de scènes qui nous rappellent les séries télévisées
judiciaires de l’ «Avocat du
Diable », de « Parry Mason », « Ally McBeal »,
« Law & Order ». En
effet, le rôle et les pouvoirs des avocats américains sont tout à fait
différents du rôle et des pouvoirs des avocats européens, liés par les règles
d’un système inquisitoire.
Si certains d’entre nous, avocats au barreau de
Bruxelles, ont grandi avec le rêve de crier un jour « Objection, Votre
Honneur ! » ; si certains des prévenus s’attendent à se défendre
devant un jury populaire… cela veut dire qu’ils croient « vivre » dans
une série américaine ou faire partie d’un
procès américain qui se déroule selon un système accusatoire.
Cet article se propose de tracer une distinction
entre le rôle de l’avocat aux Etats-Unis soumis à un système accusatoire et le
rôle de l’avocat belge, soumis à un système inquisitoire.
Le
système accusatoire
Le système
accusatoire est la procédure judiciaire en usage dans le monde anglo-saxon,
notamment aux Etats-Unis. Il se bâti sur un ensemble de règles dites de common law, où la jurisprudence est la
première source du droit, par opposition au droit codifié des pays de civil law. Les précédents judiciaires
font loi entre les parties. Aux Etats-Unis il s’agit des décisions de la Cour
Suprême.
La particularité
du système accusatoire est flagrante et tangible dans la mise en œuvre de la
justice.
En régime
accusatoire de common law l’exercice
de l’action pénale appartient aux parties. Plus précisément, le ministère
public (District Attorney) qui est
partie du procès avec le prévenu mène l’action publique sans qu’aucun juge
d’instruction ne puisse intervenir. Il n’est pas un fonctionnaire nommé sur la
base d’un concours. Il est élu par les citoyens. Donc, aux Etats-Unis
l’exercice de l’action publique relève du pouvoir politique, le District Attorney devant rendre compte à
ses électeurs.
En pratique, au
moment de la commission d’une infraction la police intervient en appréhendant,
par exemple, le suspect. A la suite d’un interrogatoire, le cas échéant en
présence d’un avocat, la police rédige un procès verbal qui sera remis au
procureur de la ville ou du comté, c’est-à-dire au District Attorney. Celui-ci peut décider de déclencher l’action
pénale, sans aucune intervention du juge d’instruction qui n’existe pas dans le
système américain. Si le District
Attorney estime que l'enquête est suffisante et complète pour mettre en
cause un individu déterminé, il le cite devant le juge. Le ministère public
doit alors prouver la culpabilité du prévenu devant les jurés, à travers la production
de pièces à conviction, l’audition de témoins et d’experts à l’audience des
jugements.
Ce régime
connait la répartition de la charge de la preuve entre les parties au procès.
Le ministère public instruit à charge (en défaveur de l’accusé), les avocats de
la défense enquêtent à décharge (à la faveur de l’accusé). L’avocat de la
défense a un rôle clé, d’enquêteur. Il peut recourir à des enquêteurs privés
pour apporter des éléments à décharge au moment de l'audience, il peut
communiquer avec les témoins, chercher et réunir des preuves, ordonner des
expertises, parler à la presse de son affaire.
Dans la phase de
l’instruction, preliminary inquiry, toutes
les parties agissent au même niveau. Il est évident que l’exercice du droit de
la défense est directement proportionné à la capacité économique du prévenu,
les expertises, les détectives privés ayant un coût très important. En fait, si
dans le système inquisitoire belge la police judiciaire, et donc l’Etat, a le
pouvoir de rechercher toute information, sous la direction d’un procureur du
roi ou d’un juge d’instruction, dans le système accusatoire ce pouvoir
appartient aux parties.
Une fois que le
prévenu a été envoyé devant le tribunal pour y être jugé, la procédure devient
contradictoire et orale. En audience on assiste à un affrontement
contradictoire, public et oral entre l’accusation et la défense. L’avocat de la
défense ayant les moyens financiers déploie sa contre-enquête. Chaque partie a
le pouvoir et le droit de prouver les faits au soutien de sa cause à travers
des explications orales. Celles-ci posent également leurs questions aux
témoins.
Le juge ne joue
qu’un rôle d’arbitre : il veille sur la loyauté des débats, sur l’équité
de la procédure et sur le respect des lois de procédure pure. Le tribunal
tranche en faveur de la thèse qui lui parait la plus solide et la plus
convaincante. Il en découle une vision procédurale de la justice qui considère
juste ce qui a été contradictoirement débattu et tranché.
Aux Etats-Unis
les jurés populaires sont très courants, tandis qu’en droit belge, seulement la cour d’assises, compétente pour les crimes
graves, est composée du jury.
Les jurés
américains doivent fonder leur condamnation uniquement sur les éléments de
preuves présentés au procès. S’ils arrivent à la conclusion personnelle que le
prévenu a commis l’infraction dont il a été accusé, mais s’ils déterminent que
les preuves produites par le ministère public n’œuvrent pas dans le sens de la
culpabilité sans aucun doute raisonnable, les jurés doivent prononcer
l’acquittement.
Le
système inquisitoire
Le système
inquisitoire, qui est un ensemble de règles, est la procédure judiciaire en
usage dans la plupart des pays de l’Europe
de l’Ouest, notamment en Belgique, et en Amérique latine. Cet ensemble de
règles de droit évoque le système de civil
law, c’est-à-dire un système juridique qui puise ses origines dans le droit
romain, codifié plus tard dans le Code Napoléon.
Conformément à
l'article 1er du Titre préliminaire du Code de Procédure Pénale belge, « l’action pour l'application des peines ne
peut être exercée que par les fonctionnaires auxquels elle est confiée par la
loi ». La loi confère ce pouvoir au ministère public qui au sein d’une
procédure judiciaire représente l’Etat et il exerce l’action publique dans
l’intérêt de la société. Il est un fonctionnaire, nommé sur base d’un concours et
indépendant du pouvoir politique.
Au moment de la
commission de l’infraction la police judiciaire intervient en appréhendant, par
exemple, le suspect qui fait tout de suite l’objet d’une audition. Celle-ci
normalement se déroule en présence d’un avocat alerté de l’interrogatoire de
police selon les règles de la loi Salduz. L’officier de police recueille les
déclarations du suspect dans un procès-verbal, premier acte écrit du dossier
répressif. Voilà pourquoi on dit que la procédure inquisitoire est écrite, la
conviction du juge se fondant sur les pièces, documents et conclusions insérés
au fur et à mesure dans le dossier répressif. La police transmet, ensuite, le
procès verbal de l’audition au ministère public qui peut classer le dossier
comme sans suite, citer directement le prévenu devant le tribunal de police ou
le tribunal correctionnel, ou émaner un réquisitoire de mise à l’instruction,
en confiant l’affaire au juge d’instruction (article 61 Code d’Instruction Criminelle).
S’ouvre ainsi la phase de l’instruction qui précède le débat éventuel au fond
devant les juridictions du fond.
L’article 55,
al. 1er du Code d’Instruction Criminelle définit l’instruction comme « l'ensemble
des actes qui ont pour objet de rechercher les auteurs d'infractions, de rassembler
les preuves et de prendre les mesures destinées à permettre aux juridictions de
statuer en connaissance de cause.
Elle est conduite sous la direction et l'autorité du juge d'instruction ».
Donc dans le système inquisitoire belge, le pouvoir de rechercher toute
information appartient à la police sous la direction du ministère public, dans
la phase de l’information, et au juge d’instruction dans la phase de
l’instruction. Et alors quel est le rôle de l’avocat de la défense au sein
d’une procédure judiciaire belge, étant donné que la phase de l’information est
sécrète ?
L’avocat appartenant à la plateforme Salduzweb assiste
le suspect lors de sa première audition auprès du commissariat de police. Il
n’intervient pas pendant l’interrogatoire. Sa présence est strictement liée au
respect du droit de la défense. Par exemple, il fait en sorte que le procès
verbal soit rédigé conformément aux réelles déclarations du suspect.
Successivement, l’avocat de la défense doit « travailler » « bras
dessus bras dessous » avec la police judiciaire, le procureur du roi et,
le cas échéant, avec le juge d’instruction.
N’ayant pas un pouvoir d’enquête privée à l’instar de ses collègues
américains, il est essentiel pour l’avocat de la défense de connaitre son
interlocuteur dans la procédure judiciaire, car il est possible qu’il ait des
mesures de recherche de la preuve à « suggérer ». En fait, sur pied de l’article 61 quinquies
du Code d’Instruction Criminelle, « l'inculpé
et la partie civile peuvent demander au juge d'instruction l'accomplissement
d'un acte d'instruction complémentaire ». Afin d’exercer ce droit de
défense, il est de capitale importance pour l’avocat de la défense d’avoir
accès au dossier répressif aussi tôt que le juge d’instruction ait été saisi.
Le juge d’instruction ne joue pas le rôle d’arbitre, mais d’enquêteur.
Le régime inquisitoire ne connaît pas la répartition de la charge de la
preuve entre les parties au procès. Eu égard au principe de la présomption
d’innocence, la charge de la preuve incombe en effet entièrement à la partie
poursuivante, sous le contrôle du juge. Le juge contribue activement à la
recherche de la vérité. Il prendra d’office toutes les initiatives nécessaires
lorsque le matériel de preuves recueilli est insuffisant pour conduire à une
décision justifiée. Mais il doit le faire dans une manière impartiale et
contradictoire.
A l’issue des audiences de débat, le juge de fond doit prononcer un jugement motivé (article 163 Code d’Instruction Criminelle ; article 149 Constitution) qui ressentira de son appréciation de la valeur probante des éléments de preuve. Le juge du fond condamne le prévenu sur la base du principe de l’intime conviction qui doit être établie au-delà de tout doute raisonnable. L’intime conviction, fondement de l’acte de juger, n’est pas la simple opinion ou réflexion du juge. Elle « est une méthode de travail » qui suppose d’envisager tous les aspects de l’affaire, d’en peser la totalité des éléments, de produire un raisonnement, en fait comme en droit. Le juge condamnera lorsque, sur la base des arguments avancés par les parties, il a acquis la certitude humaine, qui réside dans son intime conviction, que le prévenu est coupable du fait mis à sa charge.
En
conclusion, dans les Etats modernes, la vérité des faits s’établit à travers
des procédures judiciaires différentes, où l’avocat parfois joue un rôle de
protagoniste, parfois d’adjoint du réalisateur.
Mais
est-ce que la Justice et la Vérité resteront toujours la Justice et la Vérité
n’importe où dans le monde, n’importe où le justiciable est poursuivi, quelles
que soient les lois de procédure applicables ?